J’imagine que, comme moi, vous avez vu se multiplier ces dernières semaines les formats “recap” ou “retrospective” inspirés du “Spotify Wrapped”, qui apparaît sur nos fils d’actualités chaque fin d’année depuis 2016.
Étonnamment, je n’ai pas eu droit à la “Rétrainspective” personnalisée de la SNCF, mais mon application audio m’a appris que j’avais écouté 736 heures de podcast cette année.
Pourtant, à l’inverse de cette tendance, dans les médias, la mode des “dataviz” semble bel et bien être derrière nous…
TL;DR
Moins en vogue que par le passé, les “dataviz” sont pourtant des outils intéressants pour les médias qui cherchent à expliquer ou “rendre visible” des situations complexes.
D’autres formats, physiques, immersifs ou plus incarnés prennent toutefois le relais pour sensibiliser, en particulier sur les enjeux climatiques.
Ceux-ci réussissent ce que les “dataviz” classiques peinent souvent à faire : mobiliser nos émotions et notre sens de l’empathie.
Certes, l'idée de “mettre en scène” les données est toujours présente dans les infographies et certains formats éditoriaux, mais les mini-sites dédiés qui fleurissaient il y a quelques années ont disparu, tout comme la vogue du “data-journalism”. Une question de ressources et de priorités sûrement. Mais peut-être qu’après avoir croulé sous les chiffres pendant la pandémie, les médias - et leurs lecteurs - ont voulu tourner une page.
Les datavisualisations et le “data journalism” en général sont pourtant de bons moyens pour révéler des situations cachées (comme le travail de feu Vice News sur les camps de travail ouïgour en Chine) ou expliquer au grand public des situations complexes. Malheureusement, trop souvent, ces formats restent “froids” et arides…
Néanmoins, même s’il suscite moins d’engouement que par le passé, ce format n’est (heureusement) pas totalement mort. On voit encore quelques expériences intéressantes, comme ce format du Monde pour comprendre qui soutient qui dans le conflit israélo-palestinien ou ce concept original de The Pudding pour illustrer très visuellement l’“épidémie invisible” de solitude.
Le sujet - ô combien complexe - du changement climatique se prête aussi très bien à l’exercice, afin de le rendre plus concret et tangible. Dans les lauréats des Dutch Design Awards présentés à la dernière Design Week d'Eindhoven, on trouvait par exemple la plateforme “Voices from the frontline”, qui illustre les impacts du changement climatique en Afrique en associant données et témoignages. De quoi jouer sur deux tableaux à la fois : le rationnel et l’émotionnel.
Cette même Design Week mettait également en avant des installations physiques qui remplissaient la même fonction que ces datavizualisations : “donner à voir”, ou plutôt “à vivre” des phénomènes complexes afin d'en faciliter la compréhension.
Par exemple, le palmarès des Dutch Design Awards mettait aussi en avant l’installation “MB>CO2”, une volonté de montrer les impacts concrets des visioconférences, du streaming et de l’IA, tandis que l’installation interactive “Packet Run” permettait de visualiser les rouages de l'internet sous la forme d'une course de billes.
Cette “matérialité” du support permet alors de prendre conscience qu’internet n’est pas seulement un espace virtuel : il s’appuie sur des infrastructures bien physiques, aux impacts non négligeables.
Avec un angle plus technologique (et discutable), la réalité virtuelle permet aussi cette compréhension, à travers une immersion totale et à la projection du spectateur dans un point de vue. Lors du festival Kikk à Namur cet automne, on pouvait par exemple se retrouver au bord du lac Tchad, à la place d’un éleveur et d’un réfugié devenu pêcheur, pour visualiser très concrètement les effets du changement climatique, grâce au documentaire en réalité virtuelle de Nyasha Kadandara, “le Lac”, produit en 2019.
À noter que si la réalité virtuelle peine encore à remplir ses promesses - même si les technologies continuent à évoluer rapidement - de nouvelles formes d’immersion gagnent en popularité : les “expériences immersives”, à l’image de celles proposées par l’Atelier des Lumières (qui après avoir bouleversé le monde de l’art, se lance désormais dans la sensibilisation écologique, avec actuellement l’expérience “Océans : l’Odyssée Immersive”) ou par le musée Ars Electronica à Linz, en Autriche.
Dans le même esprit, citons aussi l'essor du dessin et de l'illustration, que ce soit sous forme d’enquêtes (comme celles de “La revue dessinée”), de publications sur les réseaux sociaux ou de posters. On peut y voir dans ces contenus incarnés une réponse à ce flot d'images sans âme produites par des IA.
Un exemple ? À la biennale d'architecture de Venise, l'artiste néerlandaise Carlijn Kingma présentait “Waterworks of Money”, une série de tableaux en noir et blanc conçus en collaboration avec le journaliste Thomas Bollen et le chercheur Martijn van der Linden, également déclinés en vidéo. L’idée : représenter en format XXL les rouages complexes de l’économie, en utilisant la métaphore de l’eau, pour nous inviter à réfléchir…
Le point commun de tous ces formats ? Faire la part belle au ressenti, à l’empathie et aux émotions, ce que les “dataviz” classiques peinent souvent à faire. Autant de leviers de plus à mobiliser pour sensibiliser et inciter à passer à l’action.
Benoit Zante
Bonjour,
hyper intéressant, les exemples sont passionnants !
Merci bcp