Le pire musée du monde
En attendant la rentrée, et si je continuais avec les cartes postales ?
Mon trajet en train à travers l’Europe passant par l’Autriche, il m’était difficile de ne pas faire un stop à Linz, qui abrite l’Ars Electronica Center, un lieu entre musée, centre de recherche et résidence d’artistes, qui se présente comme un “laboratoire du futur" et organise chaque année un festival dédié à l’art et à la culture numériques.
J’y ai en fait découvert ce qui est peut-être le pire musée du monde, non pas pour ses visiteurs, mais pour ses gestionnaires… Et pour cause : ce “musée du futur” a eu la bonne idée de renouveler toute son exposition à la veille du covid, en 2019, autour d’un thème : l’Intelligence Artificielle, à travers un parcours interactif et tactile…
Autant dire que les mesures sanitaires l’ont particulièrement contraint.
Mais c’est surtout ce thème de l’IA qui rend les choses particulièrement difficiles. Au rythme où vont les annonces dans ce domaine, il faudrait mettre à jour l’exposition chaque semaine, ou presque ! Alors que tout s’est accéléré en quelques mois, en parcourant l’exposition, on a plutôt l’impression de naviguer dans le passé… Heureusement, tout n’est pas à jeter, loin de là !
TL;DR :
L’IA a progressé tellement rapidement depuis 2022 qu’il est quasiment impossible de suivre tout ce qu’il se passe dans le domaine. A fortiori quand on est un musée.
Heureusement pour le musée de Linz (et malheureusement pour l’Humanité), l’IA pose encore et toujours de nombreuses questions morales, éthiques, écologiques ou démocratiques qui sont loin d’être résolues et méritent d’être discutées.
Surtout, l’Ars Electronica Center a un autre atout dans son jeu : le “DeepSpace 8K” qui parvient à concurrencer la réalité virtuelle et autres expositions immersives qui ont essaimé à travers le monde ces dernières années…
Mi-2023, dans les allées d’une exposition consacrée à l’IA, on s’attendrait à trouver des mentions de ChatGPT, OpenAI, Dall-E, Midjourney, Stable Diffusion et autres modèles désormais connus d’un large public… Mais à l’Ars Electronica Center, il n’en est rien. À part l’œuvre d’un artiste utilisant GPT-3 dans le hall d’entrée et une brève mention d’OpenAI - présentée encore comme une “organisation à but non lucratif” - les IA génératives sont totalement absentes du panorama. Un comble !
À l’inverse, la technologie des GAN - pour “Réseaux antagonistes génératifs” - y est abondamment représentée, avec des résultats qui semblent totalement anachroniques face aux prouesses quotidiennes de Dall-E, Midjourney ou Stable Diffusion… Bref, plus que dans le futur, on se retrouve à visiter le passé de l’IA, avant que la technologie des "transformers” ne vienne tout bousculer.
Néanmoins, l’Ars Electronica Center tient sa promesse de servir de “boussole pour naviguer dans le futur”, en soulevant les nombreuses questions posées par l’IA, et qui, elles, ne sont pas près de passer de mode.
Prendre conscience des biais des modèles et des données qui ont servi à leur entraînement. Alerter sur les risques posés par certaines IA si elles sont mises entre les mains d’organisations ou de régimes mal intentionnés. Rappeler la dimension bien physique de l’IA et ses impacts environnementaux et humains.
Il ne s’agit là de quelques-uns des enjeux soulevés par l'exposition.
Mais ce qui sauve ce musée, c’est le “Deep Space 8K”, un espace immersif doté de 8 projecteurs de cinéma et de capteurs de mouvements, pour des projections 2D et 3D en très (très) haute résolution.
Parmi les expériences proposées : une exploration de l’univers en 3D, une plongée dans les tableaux de grands maîtres avec un niveau de détail bluffant, des expérimentations artistiques interactives, des clips musicaux psychédéliques, des scans du corps humain en 3D, etc.
Le catalogue du musée comporte 300 expériences différentes et toute la journée, des sessions de 30 minutes permettent de découvrir quelques-uns des cas d’usage de cet espace - le ‘highlight’ étant la visite de l’univers.
Comme avec l’IA, ce lieu aurait pu rapidement devenir obsolète : la réalité virtuelle progresse relativement vite et les expériences immersives se sont multipliées dans le monde entier depuis le succès des expositions de l’Atelier des Lumières… Mais les différentes expériences proposées à Linz restent vraiment impressionnantes et des mises à jour technologiques sont réalisées régulièrement pour garder une longueur d’avance.
Pour la 3D, par exemple, rien à voir avec la “3D relief” du cinéma ou la réalité virtuelle : les lunettes sont légères et l’immersion quasi-totale - mention spéciale pour la visite de la station spatiale internationale, qu’on a l’impression de pouvoir toucher du doigt devant soi.
Conclusion : n’allez pas spécialement à Linz pour cela, mais si vous êtes dans le coin, un détour peut valoir le coup. Et sûrement encore plus à l’occasion de l’Ars Electronica Festival, en septembre.
Benoit Zante