Téléscopage
“Réparer” : le thème de l’édition d’été des Napoleons, désormais installés à La Baule, résonnait particulièrement avec l’actualité. On pourrait même parler de télescopage, alors que les scènes d’émeutes marquaient tout le pays. Derrière les dégâts matériels et humains, c'est toute une société fragmentée qu'il va bien falloir s'atteler à réparer...
Les trois jours d’échanges et de conférences étaient d’ailleurs introduits par deux études de l’Ifop réalisées avant les émeutes. L’une d’entre elles affichait des conclusions peu réjouissantes : 82% des Français y jugent la France “abîmée”, avec en tête des composantes de la société les plus menacées, les institutions politiques, le Droit et la justice, l’information et les médias… Prémonitoire.
TL;DR
Dans la lignée des éditions précédentes, les Napoleons donnaient la parole à des activistes et acteurs engagés de la société civile, fédérés autour de la thématique de la réparation.
Sur le sujet de la transition écologique, un débat intéressant sur les renoncements nécessaires - à l’échelle individuelle comme au niveau des entreprises - a été ouvert par les représentants de la SNCF et la Compagnie des Alpes.
Parmi les messages d’espoir, retenons quand même un chiffre cité par l’Ifop : 75% des Européens considèrent que nous devons changer notre mode de vie et de consommation. Pour autant, 50% ont bien envie de changer, sauf qu'ils ne savent pas comment s’y prendre…
Pendant trois jours, le thème de la réparation était donc abordé par tous les angles possibles, ou presque, du plus micro au plus macro : l’humain, la famille, l’entreprise, Notre-Dame, les villes, la France, l’Histoire, la justice (“restauratrive”, comme celle mise en avant dans le film “Je verrai toujours vos visages”), le vivant, etc.
Vaste programme… Et, pour une fois en ce moment, les sujets liés à l’intelligence artificielle (et même à la technologie en général) étaient quasiment absents du programme ! Mais de toutes ces interventions, on ressort malheureusement souvent avec plus de questions que de solutions.
Je retiendrai toutefois - comme la plupart des participants d’ailleurs - celle d’Olivier Goy, le fondateur de la fintech October, atteint de la maladie de Charcot : à l’occasion de la sortie de son documentaire “Invincible été”, il venait porter un message d’espoir et de résilience, alors que son état physique se dégrade rapidement.
L’émotion était aussi au rendez-vous avec les témoignages de Dilnur Reyhan, militante de la cause des Ouïghours et Jessica Mwiza, petite-fille de victimes du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda.
Sur un sujet plus léger, mais non moins important, une autre activiste, dont les actions ont un impact direct dans nos vies, était également mise en avant : Laetitia Vasseur, cofondatrice de l’association HOP (Halte à l’obsolescence programmée). Par ses actions de lobbying, elle a notamment contribué à l’adoption d’un indice de durabilité qui sera obligatoire en 2024 pour les produits électroménagers. Son autre fait d’armes est la condamnation d’Apple à une amende de 25 millions d’euros en 2020, pour des pratiques d’obsolescence programmée.
Son combat s’avère en phase avec les attentes des Européens, qui, dans l’étude réalisée par l’Ifop pour les Napoleons sur la “société de réparation”, expriment leur frustration face aux difficultés pour faire réparer leurs objets du quotidien. La même étude révèle que 75% des Européens considèrent que nous devons changer notre mode de vie, afin d’adopter des pratiques de consommation plus durables et respectueuses de la planète et de ses ressources… Sauf que 50% ont certes envie de changer, mais ne savent pas comment s’y prendre !
Le sociologue Rémy Oudghiri, parle tout de même d'un vrai basculement, une “grande inversion“ qui se traduit par une remise en cause de la notion de progrès et des symboles de la société de consommation : le pavillon individuel, les centres commerciaux, les produits jetables, et même l'avion. “Aujourd'hui, tout a changé. Ce n'est plus la flèche qui est le symbole du progrès : de plus en plus, c'est le cercle. C’est-à-dire que désormais on va faire en sorte que tout ce qui est utilisé ne soit pas jeté, mais au contraire réutilisé ou recyclé.”
Pour accompagner ce mouvement et s’adapter à cette “grande inversion”, les entreprises vont devoir changer et faire évoluer leurs modèles… C’était d’ailleurs l’un des sujets de l’intervention croisée de Dominique Thillaud, directeur général de la Compagnie des Alpes et d’Alain Krakovitch, directeur de TGV-Intercités.
Le premier (par ailleurs, ex-directeur de la stratégie de la SNCF, pendant 10 ans…) a listé les “renoncements” décidés par la Compagnie des Alpes, tels que le refus de se tourner vers les marchés pourtant juteux de la construction de stations de ski en Chine et de “snowdomes” reposant sur de la neige artificielle, ou le fait ne plus proposer aucune extension nette de domaines skiables.
Le second est revenu sur les réalités opérationnelles et économiques de la SNCF, alors que l’entreprise doit concilier des injonctions souvent contradictoires pour répondre aux enjeux de la transition écologique - comme développer le train de nuit tout en étant rentable. “Les principaux opposants au train aujourd’hui sont les écologistes,” regrette-t-il par exemple, en évoquant l’opposition à la LGV Bordeaux-Toulouse.
Alain Krakovitch a aussi soulevé la question des quotas, qui peuvent contribuer à faire bouger les choses, aux côtés des leviers fiscaux et réglementaires. Un sujet hautement polémique, comme l’ont montré les réactions à la proposition récente de Jean-Marc Jancovici… Mais qui a le mérite d’ouvrir le débat.
Finalement, en parlant de débat, l’annulation de la venue de la ministre des Sports, Amélie Oudea-Castera, ayant laissé un “trou” dans le programme de la soirée de clôture, les organisateurs ont eu la bonne idée de faire monter sur scène trois des intervenants de la journée, pour réagir à chaud, avec la salle, aux événements du moment. Une occasion de libérer la parole, tout en illustrant aussi les difficultés à recréer du dialogue et de l’écoute dans une société de plus en plus polarisée.
Benoit Zante