Que reste-t-il à l'humain ?
Il y a quelques mois, un thread sur Twitter m'avait interpellé : il décrivait la détresse d’une traductrice de haut niveau face à l’arrivée de ChatGPT. Pendant longtemps, on a pensé que ce seraient les métiers manuels qui seraient automatisés en premier… Mais avec les modèles de langue, il semblerait bien que les premiers concernés sont plutôt les professions “intellectuelles”…
Cette inquiétude fait écho à la question que l’un d’entre vous me posait récemment, en réaction à une newsletter…
TL;DR*
Les techno-optimistes expliquent que l’IA ne va pas nous remplacer, même si elle va impacter nombre d’emplois et transformer beaucoup de métiers - y compris celui de journaliste. Espérons-le pour les rendre plus intéressants…
Pour rester pertinent dans ce monde “co-piloté” par l’IA, il faudra développer ce qui fait notre singularité, autrement dit, les traits caractéristiques de notre humanité…
Mais il faudra surtout se demander ce que l’on est prêt à abandonner - individuellement ou collectivement - pour quelques gains de productivité… Et développer son immunité pour faire face à l’omniprésence de la technologie.
Et oui… Si GPT4 est capable d’écrire des articles, de passer des examens, de traduire des textes techniques ou de synthétiser des documents, de quoi seront capables ses successeurs ? 300 millions d’emplois dans le monde seraient directement concernés par les avancées rapides des IA génératives et de l’automatisation, selon une étude de Goldman Sachs qui a fait grand bruit.
Ce chiffre de 300 millions d’emplois menacés (ou plutôt “exposed” selon les mots de l’étude, ce qui n’implique pas nécessairement leur disparition) par l’IA a marqué les esprits. Mais Goldman Sachs explique aussi que les emplois détruits par l’automatisation ont été historiquement compensés par la création de nouveaux emplois et l'émergence de nouvelles professions.
Surtout, la banque estime que les gains de productivité générés par l’IA vont permettre d’augmenter considérablement la croissance économique (“bien qu'il soit difficile de prévoir à quelle échéance”), et donc les emplois… Elle souligne également l'énorme potentiel économique de l'IA générative, “si elle tient ses promesses”.
Tout cela semble bien incertain, mais une chose est sûre : beaucoup de gens vont voir leurs métiers impactés par l’IA. Et espérons-le, dans le bon sens, c’est-à-dire “enrichis” par l’IA.

Illustration dans le monde des médias. À SXSW, en mars dernier, le fondateur Axios, Roy Schwartz, préfigurait un double mouvement. D’un côté, les journalistes de terrain seront renforcés dans leur rôle d’investigation, d’identification, de mise en confiance des sources et de collecte d’information, puis seront aidés par l’IA dans la phase de rédaction - un exercice que beaucoup apprécient moins, selon lui.
D’un autre côté, les journalistes de “desk” deviendront davantage des “éditeurs” que des rédacteurs, en s’appuyant sur l’IA pour traiter de larges volumes de données, croiser des sources, réaliser des synthèses ou produire de premières versions d’articles ou améliorer leurs écrits.
Dans cette vision relativement optimiste, beaucoup de métiers se trouveraient ainsi “augmentés” par l’IA, et nous devrions tous, progressivement, apprendre à travailler avec ces nouveaux outils. “Les IA ne vont pas nous dominer. Nous n'allons pas les asservir. Nous sommes des partenaires et les membres d’une même équipe”, assurait par exemple le techno-évangéliste Kevin Kelly à SXSW.
Pour Nick Chatrath, l’auteur de “Leading in the Age of AI” qui s’exprimait lui aussi à SXSW, pour réussir dans cette collaboration avec les machines, l’humain doit développer encore plus ce qui fait son “super-pouvoir” face à l’IA : son Humanité.
"Aussi puissante que soit l'intelligence artificielle, elle est fondamentalement incapable de reproduire toute la profondeur et l'étendue de l'expérience humaine. Vous ne pouvez pas surpasser les machines, mais votre humanité est aussi un superpouvoir", explique-t-il, avant de citer “l'amour, le mystère, l'humilité”, “des caractéristiques qui seront relativement difficiles à acquérir pour l'intelligence artificielle.”
Reste que cette perspective d’une AI “copilote” de nos vies, même contrebalancée par notre “humanité”, a quand même de quoi inquiéter. La frontière entre être “aidé”, “assisté”, “guidé” et “manipulé” par une IA est relativement floue…
De la même manière que les calculatrices n’ont pas fait disparaître le calcul mental, il faut a minima continuer à exercer nos compétences propres pour échapper à une dépendance à la technologie.
Surtout, il convient de se demander ce que nous sommes réellement prêts à sacrifier au profit de gains d’efficacité et de productivité ? Dans ce monde où l’IA est omniprésente, le risque d’une perte de sens est plus grand que jamais. C’est pourtant cela qui doit rester à l’humain, in fine : le sens et l’intention.
Alors faut-il être plus radical, comme Douglas Rushkoff** (évidemment, pour ceux qui ont suivi les épisodes précédents) ? Celui-ci considère que “dans un monde sans régulation, la seule façon dont nous pouvons, même pas nous défendre, mais nous maintenir et maintenir notre humanité, est d’adopter les principes de l’homéopathie. Attaquons-nous à l'IA en augmentant notre réponse immunitaire culturelle. Pour cela, nous devons nous resocialiser et encourager les expériences d'émerveillement.”
Et d’ajouter : “plus vous vivrez des expériences d'ocytocine sociale, moins nous ressentirons le besoin de la dopamine [de la technologie]. Et plus vous aurez envie de vous retrouver dans la joie d'être humain avec les autres. Notre véritable moyen de défense consiste donc à élever le niveau de nos relations humaines.”
Benoit Zante
*Fun fact : j’ai beau essayer à chaque newsletter d’utiliser ChatGPT pour automatiser ces TL;DR - un exercice de synthèse dans lequel cet outil est plutôt bon, normalement - je n’arrive pas à obtenir de résultat à la hauteur… Même avec la dernière version, GPT-4. Je ne suis donc pas encore (totalement) remplaçable. Ouf.
**Pour ceux qui veulent voir son intervention en VO, les organisateurs de SXSW ont eu la bonne idée de la publier sur Youtube.
PS. Je serai à Vivatech demain et aux Cannes Lions toute la semaine prochaines. Si vous y êtes aussi, faites-moi signe !
PPS. Dans la foulée de la conférence nous venons de mettre à nouveau à jour notre rapport sur le futur des contenus à l’ère de l’IA : il est disponible ici.