Serait-ce révélateur d’un changement d’état d’esprit dans le monde de la tech ? À SXSW cette année, c’était aux happy hours de Patagonia qu’il était le plus difficile d’entrer. Avec les soirées de TikTok peut-être. À l’inverse, des startups et des médias comme Buzzfeed, autrefois stars de l’événement, avaient plus de mal à susciter l’enthousiasme…
TL;DR
Outre-Atlantique, les entreprises “à impact” commencent à attirer les talents qui se tournaient auparavant vers la tech, à en juger par l’intérêt qu’elles ont suscité à SXSW cette année.
Mais il y a encore trop peu d’exemples de marques et d’entreprises qui cherchent à repenser leurs modèles : aux Etats-Unis - comme en Europe d’ailleurs - ce sont toujours les mêmes qui sont citées en exemple.
Pourtant, on note une volonté croissante de questionner le statu quo, qui passe notamment par une remise en question des systèmes traditionnels d’actionnariat et de partage de la valeur…
Face aux enjeux du moment dont je parlais dans ma précédente newsletter, les différentes innovations tech présentées à Austin - comme des hologrammes XXL, des tablettes 3D sans lunettes, un mystérieux terminal pour de l’IA embarquée, des jeux vidéo sans contact - apparaissaient vite comme des gadgets.
À l’inverse, des marques engagées comme Patagonia, Ben&Jerry ou Lush faisaient salle (ou boutique et maison) comble - et pas seulement parce que l’intervenant de Ben&Jerry avait promis des glaces gratuites à la sortie de sa conférence.
En ce sens, SXSW 2023 a tenu sa promesse : avant d’y aller, je disais espérer y trouver davantage de sens et d’engagement cette année.
Certes, il y aurait beaucoup à dire sur l’engagement de ces marques - Ben&Jerry doit faire des compromis avec sa maison-mère Unilever, l’engagement anti-packaging de Lush ne l’empêche pas de développer un objet connecté pour le bain tout en plastique, la finalité de Patagonia est toujours de vendre des vêtements (chers), etc.
Mais celles-ci ont le mérite d’ouvrir la voie.
Le problème, c’est surtout que ce sont toujours les mêmes exemples qui reviennent année après année*. Aux Etats-Unis comme en Europe, on manque de diversité dans les “role-models”.
Cela peut s’expliquer facilement. D’un côté, les grands groupes et entreprises “historiques” qui voudraient prendre la parole se trouvent vite taxés de “green” ou de “social” washing, ou a minima, se voient reprocher leur opportunisme ou leur manque de légitimité sur ses sujets. De l’autre côté, les nouveaux venus n’ont, par définition pas (encore) la puissance de frappe ou l’impact des grands groupes, et peine à apporter des preuves concrètes de l’efficacité de leurs actions.
Décourageant, non ?
Résultat : seules les entreprises ayant mené un travail de fond depuis longtemps, avec des engagements historiques, parviennent à être audibles (et crédibles). Et il y en a malheureusement peu. Mais cela ne doit pas devenir une excuse à l’inaction.
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Je me souviens d’une intervention de Sean Greenwood, le responsable des relations publiques de Ben&Jerry (depuis 35 ans !!), lors de la version en ligne de SXSW en 2021 : “Il ne faut pas penser que vous devez communiquer uniquement lorsque vous avez atteint la perfection. Vous allez être critiqué, quoi qu’il arrive”, expliquait-il, dans le but d’inciter les entreprises à s’engager.
Il partageait d’ailleurs une de ses stratégies pour éviter les procès en légitimité et gagner en crédibilité : s’appuyer sur des partenariats avec des experts et des associations au plus proches du terrain, qui connaissent les enjeux et les besoins.
Mais au-delà du sujet assez classique de l’”activisme” de marque dans lequel Patagonia, Lush et Ben&Jerry excellent, un nouveau thème émergeait cette année à SXSW : celui des modèles d’entreprise.
Par exemple, Greg Brockman, le fondateur d’OpenAI tentait tant bien que mal de défendre son modèle d’entreprise “à but lucratif limité” un concept monté de toutes pièces - après avoir abandonné le statut initial de “non-profit” -, qui permet d’attirer des investisseurs et des employés avec la promesse d’un rendement plafonné.
Ce changement de statut était selon lui le seul moyen de “scaler” l’entreprise afin de lui permettre de réaliser sa “grande” mission. “Nous nous sommes rendu compte qu'il fallait réunir des milliards de dollars pour construire nos superordinateurs. Nous avons vraiment essayé de trouver cet argent en tant qu'organisation à but non lucratif. […] Mais si quelqu’un ici sait comment faire ça, je l’embauche sur-le-champ.”
Autre entreprise à innover sur ce terrain, Patagonia - encore - dont le fondateur a décidé de confier la propriété à “la planète Terre” à l’occasion des 50 ans de l’entreprise. Cette approche permet à l’entreprise de rester dans le cadre du capitalisme traditionnel : “pour tout le monde, moi y compris, la vie à Patagonia n'a pas vraiment changé” reconnaissait Ryan Gellert, le CEO de l’entreprise.
Celui-ci est en effet convaincu que les entreprises “for profit” sont l’une des clés - aux côtés des gouvernements et de la société civile - pour faire bouger les choses. “Dans toutes les crises auxquelles nous sommes confrontés, ou presque, les entreprises jouent un rôle déterminant. […] Nous avons créé les problèmes du monde et ceux-ci ne pourront pas être résolus si les entreprises n'en assument pas la responsabilité.”
Jusque-là, rien de révolutionnaire ou radical. Pourtant, cette vision du rôle extra-financier des entreprises est encore loin d’être consensuelle Outre-Atlantique.
Là où Ryan Gellert est plus incisif, c’est quand il s’attaque aux mythes du capitalisme : “nous nous racontons beaucoup d’histoires, et tout particulièrement ici, en Amérique. Comme le fait que si vous avez plus d'argent, vous avez plus de succès - et cela signifie implicitement que vous avez plus de valeur. J'aimerais croire que la plupart des personnes présentes dans cette salle savent que c’est du bullshit.”
Avec sa force de frappe “business” et ses talents de storytelling, il pense que l’un des domaines dans lesquels Patagonia peut avoir le plus d’impact pour déconstruire ces mythes et proposer des alternatives… Comme avec ce “billboard” affiché au coeur d’Austin pendant le festival :
Plus radical encore, l’essayiste Douglas Rushkoff s’est lancé dans une critique d’une heure du capitalisme et de la tech, lors d’une intervention plus proche du one-man-show que de la keynote.
Morceau choisi :
“Le monde des startups, c'est un peu n'importe quoi. Tout est à l'envers. Le principe même de la startup, c'est de faire un exit. Devinez quoi ? Ça ne fonctionne pas !
Et si on inversait le code fiscal ? Les plus-values seraient taxées à un taux élevé et les dividendes et les revenus, à un taux bas.
En quoi ça changerait l'écosystème des startups ? Tout à coup, les investisseurs diraient : "Non, pas d’exit ! Je ne veux pas être taxé ! Je suis content si vous gagnez de l’argent. Alors pourquoi ne peut-on pas réfléchir à un moyen de faire fonctionner cette entreprise le plus longtemps possible et d'aider réellement les gens ?”
Sa prestation mériterait en fait une newsletter entière : si ça vous intéresse, dites-le moi et j’en fais mon prochain sujet !
Benoit Zante
* Si, j’ai découvert un nouveau “role model” cette année : la banque Amalgamated Bank à Chicago, qui se bat pour un meilleur suivi des achats d’armes à feu, au prix de menaces, parfois physiques, sur ses collaborateurs.
Bonjour Benoit
Merci pour votre NL.
"Sa prestation mériterait en fait une newsletter entière : si ça vous intéresse, dites-le moi et j’en fais mon prochain sujet !"
> GO ;-)
C'est intéressant de voir la différence entre le traitement parfois alarmiste (par exemple sur les supposés moins bon résultats de LUSH) et donc la réalité opérationnelle. Aussi parce que très souvent on constate des impressions plutôt que de regarder les chaînes de valeur. A ma connaissance, Patagonia est une des premières entreprises à avoir documenté à ce point comment leur business fonctionne réellement, à l'instar de certaines entreprises "indie" qui se montent.
Sur le traitement médiatique, certes en France ce n'est pas encore aussi commun (même si BEAU Magazine se lance), en revanche outre-Atlantique le taf fait par Courier Media (et donc Mailchimp) est phénoménal.
Merci pour ce débrief bien complet :)