Après une semaine dans le tourbillon du festival SXSW*, le retour à une vie normale est toujours un peu compliqué. Et cette année tout particulièrement, alors que l’événement était marqué par un sentiment d'urgences. Au pluriel.
TL;DR
Cette année, les débats à SXSW tournaient - forcément - sur le sujet de l’IA, qui a éclipsé le métavers, le Web3 et les NFTs, qui étaient les stars de l’an dernier. Oui, oui, une vague chasse l’autre…
Pourtant, en comparaison avec les précédentes vagues technologiques, la tonalité était beaucoup plus grave, moins positive et enthousiaste qu’habituellement. Les changements induits par l’IA vont être nombreux et massifs, et il faut s’y préparer au plus vite. Mais comment ?
Mais, encore, si c’était la seule préoccupation… Environnement, politique : plusieurs crises doivent être traitées de front, et force est de constater que la technologie ne sera pas la (seule) solution.
Évidemment, l’urgence climatique était bien présente à SXSW. J’aimerais dire que c’était le principal thème de cette année, mais ce serait (malheureusement) mentir.
Néanmoins, on peut quand même se réjouir de voir que le sujet était quand même beaucoup plus présent sur scène que par le passé. Qui plus est, avec une tonalité plus grave que jamais, à la hauteur des enjeux présentés par les rapports du Giec, dont une synthèse éclairante vient d’être publiée.
Cette évolution était par exemple illustrée par des titres de conférences comme “What to Say When the World is Ending”, “‘Sustainable’ Isn’t Enough”, “F*ck Conversation: It’s Time to ACT on Climate”, ”2 degrees from disaster”, etc.
La prise de conscience de l’urgence climatique de l’autre côté de l’Atlantique est lente, mais elle s’accélère. Et elle va s’accélérer à mesure que ses effets se font de plus en plus visibles.
C’est d’ailleurs l’une des convictions - pessimiste, mais pragmatique - du président de Patagonia, l’un des “featured speakers” de l’événement : “Nous finirons par prendre les bonnes décisions, quand nous aurons épuisé toutes les autres. Et la nature gagnera.” Je reviendrai sur ce sujet dans une prochaine newsletter, il le mérite.
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L’autre urgence était technologique. C’était le sujet clé, forcément, à SXSW, alors que la course à l’IA est relancée, que les annonces s’enchaînent jours après jours et que les performances des modèles croissent chaque fois de façon exponentielle. On l’a même vu “en live” pendant l’événement, avec le lancement de GPT-4, bien plus puissant que GPT-3, pourtant déjà bluffant.
Ces derniers mois, la combinaison du cloud, de la data et des nouveaux modèles basés sur les “transformers” a en effet accéléré les choses et permis à l’IA de faire des bonds de géant. À tel point que la perspective d’une AGI (Artificial General Intelligence) devient de moins en moins une abstraction futuriste.
Le point qui revenait le plus souvent à SXSW était le caractère exponentiel de cette (r)évolution. Le covid nous a montré que l’esprit humain avait du mal à appréhender cette notion d’”exponentiel” et à comprendre ce qu’elle implique concrètement. Pourtant, il est évident que les conséquences d’une IA “exponentiellement” plus puissante que GPT-4 se feront sentir sur tous les métiers, tous les secteurs. Le divertissement, les médias, les contenus vont être transformés. L’éducation aussi. L’immobilier, l’industrie, la finance, également. La santé, évidemment. Et cætera.
Les punchlines comme “l’IA va impacter tous nos emplois. La question, c’est ‘dans quel ordre ?’” ou “vous n’allez pas être remplacés par une IA, mais par un humain qui utilise l’IA [mieux que vous]” sont devenues des classiques dans les tables rondes.
Encore une fois, à SXSW, il faut se méfier des évangélistes et des vendeurs de pioches qui promettent monts et merveilles. Mais leurs discours méritent d’être écouté.
D’autant plus que ces discours sont loin d’être marqués par l’optimisme inconditionnel que l’on a trop souvent entendu en matière de technologies.
On commence seulement à toucher du doigt les conséquences sociales, politiques, environnementales et cognitives de la révolution du smartphone et des réseaux sociaux, que la prochaine vague technologique arrive déjà, encore plus violente.
Mais par peur de passer à côté de la vague, tout le monde s’engouffre dedans, sans prendre les précautions qui s’imposeraient.
Au lancement de GPT-2, OpenAI avait refusé de publier son modèle, par crainte des mauvais usages qui pouvaient en être faits. Il n’a pas eu les mêmes scrupules pour ChatGPT (même si des garde-fous y ont été intégrés), tandis que Microsoft a été encore moins regardant en intégrant GPT à Bing. Du coup, Google s'empresse d’intégrer l’IA à ses outils.
De toute façon, si ce n’est pas les GAFA, ce sera les Chinois qui le feraient… Sauf que les Chinois, paradoxalement, se montrent plus prudents : dans cette société où l’Etat a la mainmise sur tout, relâcher la bride sur une IA difficilement contrôlable est inenvisageable.
À SXSW, un événement très occidentalo-centré (et même américano-centré), on notait pourtant de nombreux appels à une régulation de l’IA, y compris par les acteurs qui sont au cœur de cette révolution, comme OpenAI.
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Ce qui nous amène à l’autre urgence, politique, cette fois-ci. On parle déjà de la prochaine élection présidentielle, un sujet d’inquiétude dans les conférences, mais aussi dans les spectacles de stand-up le soir (puisque SXSW a aussi un volet “Comedy”). Au-delà d’une probable nouvelle candidature de Trump, ce qui inquiète est le caractère extrêmement divisé de l’opinion et la radicalisation du débat politique.
L’inquiétude porte aussi et surtout sur le net recul des droits aux Etats-Unis. L’annulation de l’arrêt Roe vs. Wade sur l’avortement n’est qu’un exemple parmi d’autres. Notamment, la marque Lush - encore une fois là où on ne l’attend pas - alertait sur la censure en cours dans les bibliothèques de nombreux Etats. Pendant SXSW, les législateurs texans ont introduit une proposition de loi contre les spectacles de drag-queen, avec une prime de 5 000$ pour les délateurs.
Dans ce contexte politique compliqué, des figures émergent heureusement. Comme l’activiste Heather McGhee, que j’ai eu la chance d’écouter. Elle parcourt l’Amérique pour son podcast “The Sum of Us”, produit par les Obama, à la rencontre de ceux, qui, sur le terrain, agissent contre les inégalités et les injustices.
Son message : c’est en étant tous unis et solidaires - plutôt que divisés chacun dans ses combats - que les choses pourront changer et que tout le monde en sortira gagnant. Mais elle explique ça beaucoup mieux que moi dans ses talks (par exemple ici dans son Tedx).
Merci à elle de me permettre de conclure cette newsletter sur un message positif ;)
Benoit Zante
* Pour vous donner une idée de l’ambiance sur place, j’ai fait un thread Twitter au fil de l’eau.
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Merci pour cette chouette synthèse Benoît 👍