Pour une fois, je n'ai pas été à SXSW cette année… Mais il y a une conférence que je n'ai pas ratée lorsqu'elle a été diffusée en ligne : celle d’Amy Webb, l'une des stars de cet événement, venue présenter ses “Emerging Trends” annuelles. Et le tableau qu'elle a dressé cette année était loin d'être optimiste…
TL;DR
À SXSW 2024, la présentation toujours très attendue de la “tech futurist” Amy Webb a brossé un tableau assez alarmiste, reflétant les préoccupations croissantes concernant la technologie et son impact sur la société, même chez les plus technophiles.
Amy Webb a souligné l’urgence de se préparer à un “super-cycle technologique” provoqué par la convergence de trois technologies clés - l'intelligence artificielle, les écosystèmes d'objets connectés et la biotechnologie. Celui-ci devrait contribuer à “remodeler l’existence humaine de façon fascinante, positive et totalement terrifiante”.
Elle a notamment exprimé une vive inquiétude vis-à-vis de l'influence croissante des "messies de la technologie" et du pouvoir concentré entre les mains d'un petit nombre, même si elle considère que nous avons chacun la possibilité d’influer sur le cours des choses.
Il y a quelques années, la “futurologue” Amy Webb concluait ses présentations de tendances avec deux scénarios pour l’avenir : l'un optimiste, l'autre pessimiste. Un moyen d'alerter son public sur l'impact futur de décisions prises dès aujourd'hui.
Cette année, il n'y a plus de scénario optimiste, mais au contraire, plein de pessimisme… Elle reflète ainsi bien les préoccupations croissantes envers la technologie (et ceux qui en tiennent les rênes), y compris parmi les plus technophiles. “La vague d'innovation à venir est si forte, si puissante et si profonde qu'elle va remodeler l’existence humaine de façon fascinante, positive et totalement terrifiante”, explique-t-elle dans son introduction.
Mais de quelle vague parle-t-elle ? De l’IA, évidemment, qui était au cœur de toutes les conférences, ou presque, de SXSW 2024. Mais pas seulement. Pour cette spécialiste des tendances tech, nous sommes aux prémisses d’un super-cycle technologique, alimenté par la convergence de trois sujets : l'intelligence artificielle, les écosystèmes d'objets connectés et la biotechnologie.
Selon la futurologue, ces technologies se rapprochent et créent un effet d’accélération (un “flywheel effect”), conduisant à des avancées rapides qui vont avoir des conséquences dans de nombreux aspects de nos vies quotidiennes.
Elle explique notamment que dans les deux prochaines années, l'IA aura épuisé les textes et les données de bonne qualité disponibles sur internet, ce qui freinera sa progression. La solution ? Se tourner vers d’autres types de données.
Les modèles de langage (les fameux LLM) laisseront ainsi progressivement la place à des modèles d’action (Large Action Models, ou LAM), nourris par les données collectées en temps réel par tous types de capteurs, de caméras et d’objets connectés. Leur objectif : prédire (et orienter) nos actions futures… avec tout ce que cela implique.
La dystopie n’est pas si loin, car on commence à voir apparaître de tels appareils, notamment lors du dernier Mobile World Congress - comme l’AI Pin d’Humane ou le Rabbit R1.
Une autre limitation actuelle de l’IA - les capacités de calcul des puces et la fin de la “Loi de Moore” - pourrait aussi être progressivement levée par les avancées dans la bio-informatique et en particulier l'’”Organoid Intelligence” qui consiste à développer des bio-ordinateurs - à partir de la culture de cellules et de tissus organiques en laboratoire - plus rapides et plus efficaces que les puces de silicium traditionnelles. On en est encore loin, mais les recherches en laboratoire s’intensifient dans ce domaine, en dépit des immanquables questions éthiques que ces technologies soulèvent.
Que l’on regarde du côté des capteurs et objets connectés ou de la bio-informatique, ces deux évolutions de l’IA ont de quoi inquiéter… Et Amy Webb ne cache d’ailleurs pas ses craintes : “depuis des décennies, on nous dit que ce n'est pas la technologie qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques. La technologie n'est ni mauvaise ni bonne. Ce qui compte, c'est la façon dont les gens l'utilisent. Mais qu'en est-il des gens qui construisent et financent ces technologies, de leurs entreprises et du contrôle de plus en plus important qu'ils exercent sur notre vie quotidienne ?”
Elle va même plus loin et choisit clairement son camp : “les grands messies de la technologie ont chacun leur propre vision sur les façons de nous sauver. Ils parlent d'altruisme efficace ou de techno-optimisme. Mais de l'extérieur, cela ressemble beaucoup plus à un techno-autoritarisme libertarien. Et cela ne me convient pas ! Nous n'avons pas besoin de quelqu'un pour nous sauver. Nous devons simplement mieux préparer l'avenir”, explique-t-elle.
En cela, elle rejoint la critique déjà exprimée avec force par Douglas Rushkoff l’an dernier à Austin, à propos de l’état d’esprit des milliardaires de la tech et des risques posés par leurs visions de la technologie et de l’intelligence artificielle…
Je ne peux que vous conseiller à nouveau de (re)voir son intervention :
Amy Webb conclut tout de même sa keynote 2024 par une note positive : “je pense que nous avons plus de contrôle direct et indirect sur notre avenir que nous ne le pensons.” À méditer - et à concrétiser.
Benoit Zante
PS. Je ferai un tour à ChangeNOW et à la Maddykeynote la semaine prochaine. Si vous êtes dans le coin, faites-moi signe !