L’an dernier, j'avais passé mon tour pour le Mobile World Congress (MWC). Et ce n’était finalement pas plus mal. Une année sur deux, pour ce genre de salon, c’est bien. Déjà, parce que c’est épuisant - 100 000 personnes, 8 halls, des stands à perte de vue - et ensuite, parce que venir une année sur deux, c’est un bon moyen de voir les sujets qui ont avancé - ou ceux qui n’ont pas bougé du tout…
TL;DR
Parcourir les allées du MWC, c’est observer un secteur - les télécoms - courir après les tendances en essayant de les attraper au vol. Mais la plupart du temps, sans parvenir à en capter la valeur.
Les constructeurs de smartphones ne font pas mieux, faute de vraies innovations… Les innovations “de rupture” permises par l’IA dans l’écosystème des terminaux mettront un peu de temps à apparaître.
Les vrais gagnants ? Pour une fois, ce ne sont pas les GAFA, mais les fabricants de puces - Nvidia en tête - devenus des “faiseurs de rois”.
En février 2022, le Covid n’était pas encore tout à fait derrière nous. La “séquence” suivante venait à peine de commencer, avec l’invasion de l’Ukraine quelques jours plus tôt.
GPT - à l’époque dans sa version 3 - n’était alors un mot connu que de quelques développeurs, tandis qu’en catimini, Midjourney venait juste d’ouvrir l’accès à la première mouture de son outil de génération d’images à seulement 500 beta-testeurs.
Surtout, c’était l’époque du Web3, des NFT et des mondes virtuels. Meta venait en force à Barcelone pour convaincre les telcos d’investir dans les infrastructures qui permettraient le déploiement de la VR et de l’AR à grande échelle. On commençait même à entendre parler de 6G.
Deux ans plus tard, tout, ou presque, a changé dans les allées du MWC. Le thème du métavers a été totalement supplanté par l’IA, omniprésente et déclinée en différents buzzwords (LLM, Generative AI ou GenAI,…). Mention spéciale pour cette entreprise de semi-conducteurs, qui s’est contentée de changer quelques lettres seulement à son “claim”: “powering the AI-verse”.
En parcourant les allées de ce salon démesuré, on a l’impression d’observer un secteur qui court après les dernières tendances sans arriver à les saisir. Il y a eu la période des contenus - films et divertissement, droits sportifs, etc. - puis celle du métavers et du Web3, et désormais nous sommes dans l’ère de l’IA. À chaque vague, les opérateurs télécoms ne parviennent pas à aller au-delà de leur rôle de “tuyaux”.
L’IA changera-t-elle la donne ? Pas sûr… Mais ce serait absurde de ne pas tenter. Un dirigeant de l’opérateur coréen SK Telecom expliquait ainsi qu’après avoir connecté les gens entre eux, le nouveau rôle des opérateurs est désormais de leur apporter du “computing power”…
En Europe, les opérateurs - Orange en tête - ont beau jeu d’accuser les régulateurs pour expliquer leur retard et leurs difficultés à investir et innover - faute d’économies d’échelle et de hausse des prix que permettrait une concentration accrue du secteur… Mais la réalité est surtout qu’ils n’ont pas brillé par la qualité de leurs stratégies dans les dernières décennies, notamment en matière d’innovation.
Si cela peut rassurer les opérateurs, les constructeurs de smartphones n’ont pas l’air mieux lotis face à cette nouvelle vague. Ils ont beau mettre en avant l’IA dans leurs nouveaux modèles - pour prendre de meilleures photos, traduire des conversations en temps réel ou faire de meilleures recherches - les cas d’usage ne sont pas encore “wahou”.
Faute de réel progrès dans les écrans ou l’autonomie des batteries, le secteur a pourtant besoin d’innovations s’il veut continuer à pousser au renouvellement constant de la flotte de terminaux… Mais peut-être arrive-t-on à la fin d’un cycle, avec un allongement de la durée de vie des appareils et le développement de logiques de réparation ? (Rêvons un peu…).
Certes, il y avait quand même quelques “innovations” sur les stands - écrans transparents, smartphones flexibles, pliables ou enroulables, écrans qui ‘matchent’ la tenue de leurs propriétaires, etc. Mais il y a un signe qui ne trompe pas : pour susciter l’enthousiasme sur leurs stands, les marques en étaient venues à présenter des chiens connectés, des lave-linge ou des voitures - et parfois les trois à la fois, comme chez Xiaomi. Il y avait aussi la technique de Poco - une sous-marque de Xiaomi - qui créait des quasi-émeutes en distribuant sacs à dos et vestes à ses couleurs.
Autre idée intéressante : exposer sous vitrine un objet dont personne ne sait vraiment à quoi il va servir - ni s’il fonctionne réellement - comme l’a fait Samsung avec ses bagues connectées. La pratique m’a rappelé un salon où j’avais été aux Etats-Unis, en 2011 : prise de court par le lancement de l’iPad l’année précédente, la marque coréenne y exposait une tablette dans une vitrine. Elle ne fonctionnait pas.
À noter toutefois : l’innovation peut-être la plus prometteuse dans l’univers des terminaux venait d’un opérateur, Deutsche Telekom, qui présentait un prototype de smartphone sans application, dont toutes les interactions sont gérées par l’IA. Un bon aperçu de ce que l’IA pourrait vraiment changer dans notre quotidien numérique, mais qui est encore loin d’être commercialisé auprès du grand public.
Pour une fois, ce ne sont pas les GAFA qui sortent leur épingle du jeu et captent la valeur. À Barcelone cette année, Meta n’était plus aussi présent que par le passé - plus besoin de jouer les évangélistes du métavers... Google n’a pas non plus brillé par ses annonces, alors qu’il est pourtant au cœur de l’écosystème mobile, avec Android, ses smartphones Pixel et, surtout, ses solutions de monétisation.
D’ailleurs cette partie “monétisation” et “adtech”, autrefois bien représentée sur le salon était quasiment invisible cette année, même si Amazon Ads avait un discret stand, en plus de l’espace Amazon AWS. Quant à Apple, il est de toute façon absent de ce genre d’événement. Je m’attendais quand même à ce que l’AR/VR et le Vision Pro soient des sujets, mais non, pas vraiment.
Non, les vrais gagnants de cette nouvelle vague technologique, ce sont les fabricants de puces, Nvidia en tête. Comme souvent, dans les ruées vers l’or, ce sont les vendeurs de pioches qui s’enrichissent en premier. Autre métaphore : dans la situation de pénurie actuelle, où l’accès aux puces est fortement contraint, ces fabricants sont aussi des faiseurs de rois. Ils jouent un rôle clé dans l’innovation - ce ne sont pas de simples “tuyaux” - et peuvent orienter le marché dans une direction ou une autre.
Sur le stand de Qualcomm (concurrent de Nvidia, mais moins en avance sur le marché de l’IA) on pouvait ainsi voir un des premiers exemplaires de l’”AI-pin” de la startup Humane, créé par d’anciens designers d’Apple. Le produit - vendu 699$, avec un abonnement de 24$ mensuel - est équipé d’une caméra, d’un projecteur et d’un micro, pour permettre d’interagir avec l’IA sans l’intermédiaire d’un écran physique. Pour juger, il faudra suivre les retours d’expérience des “early adopters”, alors que les premiers exemplaires devraient être livrés dans les mois à venir.
Succès ou non, cet AI-Pin souvent présenté comme un “smartphone-killer” préfigure une nouvelle génération de terminaux. Pour l’instant, les puces les plus avancées s’arrachent à prix d’or pour équiper les data centers en capacités de calcul. Mais demain, ces puces seront aussi dans nos smartphones, ordinateurs et appareils connectés pour permettre à l’IA de fonctionner “on-device”, sans avoir à passer par le cloud…
À la clé, plus d’efficacité, du temps gagné, mais surtout - on espère - une meilleure protection de la vie privée.
Benoit Zante
super