Hyper-local
Nantes accueillait la semaine dernière le Festival de l’Info Locale. Forcément, je n’ai pas pu m’empêcher d’y passer une tête… Et finalement je suis resté les deux jours !
TL;DR
Encore plus pointu que la presse “locale”, il y a les médias “hyperlocaux” qui développent une (hyper)proximité avec leur audience… Même si les équilibres économiques sont souvent difficiles à trouver.
Un exemple ? Le Crestois, un titre créé en 1900 dans la vallée de la Drôme, un bassin d’audience de 20 000 habitants… mais qui tire à 2 000 exemplaires et compte 15 000 lecteurs.
Avec ses correspondants dans les moindres villages, son information du quotidien (et ses jeux, une rubrique populaire) et sa présence aux tables des bars et des cafés, cet hebdomadaire est l’exemple d’un média qui sait défendre sa place à l’heure de l’IA, l’autre grand sujet de cette édition du Festival de l’Info Locale.
S'intéresser aux médias locaux a toujours quelque chose de rafraîchissant, avec de belles histoires à écouter, portées par des passionné(e)s. Il y avait par exemple les fondateurs de Mediavivant, à Marseille, dont j'ai déjà parlé, le DG sans langue de bois de Sud Ouest, plusieurs membres de l'“Hyperlocal Media Club”, le club des médias de la capitale et de sa périphérie (Mon petit 20ème, Le 16ème c'est cool !, Les Pépites du 19ème, Le Douze Pépouze, Paris Lights up, Bonjour Pantin et ses voisins, le Nouveau Neuf)…
Et puis, à 9h30 le matin du deuxième jour, Laure-Meriem Rouvier, directrice de la publication du Crestois, l’hebdomadaire plus que centenaire de la vallée de la Drôme, est venue expliquer comment elle s’est retrouvée à “monter une Scop pour sauver son média”.
“Ancienne comédienne et productrice de spectacles reconvertie dans le journalisme, elle a débarqué [au Crestois] comme stagiaire” explique l’INA dans un reportage - passionnant - consacré à l’aventure qui l’a mené à se battre pour la survie de son média à la barre du tribunal de commerce.
Tout simplement, sans slides, elle a décrit sur scène un média à l’échelle certes petite (2 000 exemplaires) mais dont l’impact pourrait faire pâlir d’envie bien des titres, avec ses 15 000 lecteurs sur un bassin de 20 000 habitants, et un fort attachement au papier… “C'est une autre manière de lire à laquelle on tient. Ce journal, il est dans les bars tous les vendredis et tous les samedis, on se le refile. Alors que sur une application, on ne partage pas. Ce modèle-là, il est peut-être archaïque, mais en tout cas, il a fait ses preuves”, explique-t-elle.
Au-delà des chiffres, c'est surtout le lien entre ce média et ses lecteurs qui frappe. Celui-ci s’est particulièrement illustré lors du mois pendant lequel Le Crestois a cessé de paraître. “Quand on a commencé à dire que, peut-être, Le Crestois allait disparaître, les gens ont eu peur. On nous a appelés tous les jours pour dire que ce n’était pas possible, qu'il ne pouvait pas disparaître. Chez nous, c'est une drogue dure”.
Pour survivre, Laure-Meriem Rouvier et ses deux associés ont levé dans la région 50 000 euros en titres participatifs et ont reçu 20 000 euros de dons, complétés par un apport du Fonds pour une presse libre constitué par Mediapart, qui a pris, pour la première fois, une participation minoritaire au capital de la nouvelle société (pour un montant de 15 000 euros).
“C'est vraiment un organe de lien social et c'est grâce à ça qu'on a pu sauver ce média, ce journal de la vallée, libre, indépendant, populaire, dont on est très fiers”, ajoute celle qui entend bien “faire concurrence à Bolloré”. Le défi est désormais d’entretenir l’engouement, au-delà du mouvement de solidarité suscité par les difficultés du titre.
Au fil de la semaine, une partie du contenu est produite par des bénévoles qui transmettent les infos du moindre hameau. “Dans chaque village d'entre 60 et 1 000 habitants, nous avons des correspondants bénévoles : sans eux, on n’arriverait pas à sortir le journal toutes les semaines. Ils représentent à peu près un tiers du journal.”
Le tout est financé en partie par les ventes au numéro (2€) et les abonnements. Le Crestois compte ainsi un millier d’abonnés au papier (à 85€/an) et même 240 en numérique, malgré un site et des parcours d’achat loin d’être optimisés (“Même moi, je ne suis pas arrivé à y prendre un abonnement”). Mais une refonte du site est prévue.
Il y a aussi la publicité, sans que cette dernière ne représente un frein à l'indépendance du journal et à sa liberté de ton. “On va faire la kermesse, la fête au boudin, mais on va aussi taper sur le maire local,” explique la journaliste, qui précise que le fait d’avoir de nombreux (tout) petits annonceurs permet d’éviter toute dépendance. “On n'aura jamais quelqu'un qui, si jamais il arrête sa publicité, nous coûtera 10 000 euros”.
Et puis, il y a les annonces légales… “Un jackpot facile”, qui permet “d’encaisser 300 euros pour un simple copier-coller” (d’ailleurs, il n’est pas nécessaire d’être localisé dans la vallée pour y faire publier ses annonces).
Évidemment, tout n'est pas simple. Pour échapper à la liquidation, le Crestois a dû se séparer de son imprimerie. On sent aussi que le rythme de travail est conséquent et le modèle encore fragile. Mais Le Crestois est l'exemple même du média qui a trouvé sa place et son utilité au sein de son territoire (ou de sa “communauté” au sens anglo-saxon). Dit autrement, il n'est pas près de pouvoir être remplacé par une IA…
Il était d'ailleurs frappant de voir la dualité des sujets abordés lors de ce très riche Festival de l’Info Locale : d'un côté, une approche très technologique, avec des questions autour de l'IA ; de l'autre un retour aux fondamentaux, avec un questionnement sur la notion de proximité et le rôle des médias, qui doivent trouver leur utilité dans le quotidien des lecteurs.
Le concept de “journalisme de solutions” et ses principes étaient d'ailleurs l'objet d'un atelier - éclairant - et d'un retour d'expérience de la métropole de Nantes sur son application concrète. Mais c'est encore un autre sujet !
Benoit Zante