Tout d’abord, meilleurs vœux pour 2024 ! Parmi mes bonnes résolutions, je compte essayer de tenir un rythme de publication plus régulier pour cette newsletter. La ligne éditoriale, quant à elle, va rester toujours aussi fluctuante*, au gré des envies, des rencontres et des événements de l’année.
TL;DR
S’il fallait faire un classement, “Intelligence artificielle” serait évidemment, comme en 2023, en tête des mots de l’année 2024. Mais ce sera aussi, sans doute, le mot de toute la décennie…
Heureusement, d’autres concepts ont suscité un regain d’intérêt au cours de l’année 2023, comme la “décroissance” ou la “post-croissance”, symboliques d’un besoin de questionner et repenser nos modèles de société. Avec ces questions, viennent aussi des pistes de solutions, à travers des modèles “circulaires”, “régénératifs” ou “à impact”.
Dans le même ordre d’idées, un autre mot commence à faire son chemin : la “bifurcation”. Porté par les étudiants d’abord, il trouve maintenant un écho en entreprise, alors qu’un constat s’impose : le “business as usual“ est de moins en moins une option, alors que l’urgence climatique invite à une transformation radicale des modèles d’affaires.
Ajoutons à cette liste le mot “systémique”, qui nous incite à adopter une vision plus large des enjeux - pour voir au-delà de la seule question du CO2, notamment - et à développer des logiques d’écosystème, de coopération et de partage de la valeur.
Il y a un exercice intéressant à faire en début d’année - c’est même un marronnier journalistique, particulièrement dans la presse professionnelle : lister les mots de l’année écoulée et/ou à venir.
Souvent, ils sont révélateurs des “maux” du moment.
Si je me prête à l’exercice, on aurait forcément en tête de liste “intelligence artificielle” - un sujet qui, comme beaucoup, m’a pas mal occupé l’an dernier et qui va continuer à être au cœur de l’actualité dans les années à venir, tant ses impacts vont être nombreux.
Mais on aurait aussi des mots comme “décroissance” ou ”post-croissance” qui - comme l’IA - ne sont pas nouveaux mais commencent à émerger dans les différentes conférences : ils sont révélateurs d’une nécessité de réinventer, ou, a minima, de questionner, nos modèles actuels.
Et puis, en miroir, on aurait des concepts comme “circularité”, “régénératif” ou “impact”, qui viennent apporter des débuts de réponses à ces préoccupations, mais qui sont parfois galvaudés - comme le “développement durable”, désormais utilisé à tort et à travers. Saviez-vous que désormais, même Walmart entend être une entreprise “régénérative” ?
Il y aurait aussi un autre mot que je n’ai pas encore eu l’occasion d’évoquer dans cette newsletter. Il constituait pourtant le thème central de la conférence USI à Paris, en juin dernier : il s’agit de la “bifurcation”.
Le terme a d’abord été mis sur le devant de la scène par des étudiants un an plus tôt. C’était en avril 2022, lors de la cérémonie de remise des diplômes d’AgroParisTech. Pour eux, “bifurquer” est le moyen de protester contre le “business as usual“ des grandes entreprises qui ne prennent pas en compte l’ampleur de l’urgence climatique. Ce thème est porté également depuis 2018 par le collectif “Pour un réveil écologique”, lancé par des étudiants de grandes écoles.
Ce concept de “bifurcation” trouve maintenant un écho en entreprise. S’adressant aux “décideurs engagés des entreprises du CAC 40 et du SBF 120”, un événement (d’une grande qualité) comme USI ne pouvait pas passer à côté d’un tel sujet.
Dans sa version “business”, la question prenait donc la forme suivante : “L'entreprise à l'épreuve des limites du monde - Quelles motivations pour une bifurcation des modèles d’affaires ?” Sur le sujet, l’intervention la plus complète était celle du professeur et docteur en sciences de gestion Christophe Sempels, qui s’intéresse au quotidien sur la “transformation radicale des modèles d’affaires”, en particulier dans l’industrie.
Son message clé est une évidence trop souvent oubliée : “réduire un impact négatif ne constitue pas un impact positif”. Pour atteindre les “seuils incompressibles”, les entreprises doivent aller bien au-delà de l’éco-conception, de l’éco-efficience, de la sobriété énergétique ou de la décarbonation, ce qui implique de modifier en profondeur les modèles économiques. Elles doivent aussi adopter une vision systémique des enjeux - pour voir au-delà de la seule question des émissions de CO2, notamment.
À la fin de son intervention, Christophe Sempels cite quelques pistes de démarches vertueuses, destinées à sortir des modèles de croissance “volumique” en adoptant par exemple des modèles locatifs centrés sur l’usage. Un vendeur de pneus pourrait par exemple adopter un modèle d’affaires basé sur les kilomètres parcourus plutôt que sur la vente de pneus (et donc sur l’usure de ses produits). Dans le même esprit, au lieu de vendre des appareils, un fabricant de pompes à chaleur pourrait passer à un modèle de location, voire même de service, en s’engageant sur une température garantie auprès de ses clients : ce faisant, il se trouve incité à produire les appareils les plus durables et efficaces possibles.
Ces cas de figure restent encore très théoriques, mais des exemples commencent à émerger : on a ainsi beaucoup entendu le PDG de Nexans sur ce sujet - notamment aux Napoleons l’an dernier, ou à la conférence ChangeNow. Il faudrait maintenant d’autres témoignages de dirigeants du même niveau…
Sur ce, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter pour 2024 une bonne “bifurcation” !
Benoit Zante
*Qu’il s’agisse d’un retour de conférence, de salon ou de festival, d’un sujet sur l’environnement, la tech ou les médias, j’essaye quand même de garder un fil même fil conducteur : l’analyse des signaux faibles qui ont le potentiel de transformer nos vies et nos entreprises.
PS. Si vous voulez creuser le sujet de la dimension systémique des enjeux climatiques, Arthur Keller développe aussi un discours intéressant au micro de Grégory Pouy, dans le podcast Vlan.
Intéressante cette notion de bifurcation qui dépasse la composante financière du métier.
Pour les pneus, Michelin pratique déjà la location depuis longtemps, mais pour les professionnels seulement.