Mieux que "circulaire" : le régénératif ?
La Dutch Design Week, à Eindhoven est un endroit assez étrange, où on découvre toutes sortes de matières, de concepts et d'objets improbables (Un cercueil biodégradable ? Une exposition sur la vache nantaise ? Une formule 1 en carton ? Une installation autour de la pâte miso ? Et j’en passe !). Mais ce serait dommage de s'arrêter à cette première impression…
TL;DR :
Derrière les inventions souvent folles des designers et artistes qui exposent à Eindhoven, de vraies questions émergent. La première d’entre elles est de trouver comment réduire notre impact sur l’environnement, mais plus largement, il s’agit de repenser tout le ”design” de la société.
Ces cinq dernières années, c’était le concept de “circularité” qui semblait apporter une réponse à ces enjeux, avec la logique de “réduire, recycler, réutiliser”. Mais en 2023, cela ne semble plus être suffisant.
Les designers explorent désormais le concept du “régénératif”, en particulier dans l’agriculture, et par ricochet dans l’alimentation et la mode, mais aussi l’urbanisme et la construction… De quoi nous inviter à repenser notre rapport à la nature.
À la différence du salon du meuble de Milan, l'autre événement phare du design en Europe auquel il est souvent comparé, à Eindhoven, on navigue le plus souvent dans les purs concepts, avec très peu de produits qu'il est possible d'acheter. Cela tient sûrement au fait que ce sont avant tout les écoles de design, de mode ou d'ingénieurs qui conçoivent l'essentiel des expositions…
Résultat : un regard frais, neuf, original (mais parfois futile) sur le monde et ses nombreux problèmes. Le logement. L'alimentation. La mobilité. Les inégalités. Et, évidemment, la mère de toutes les batailles : notre impact sur l'environnement.
Sur ce point, le propos des cinq dernières années (j'ai commencé à aller à cet événement à partir de 2018) était de prôner la circularité, et avec elle, ses principes phare : recycler, réutiliser/réemployer et réduire. L’enjeu ? Créer une boucle supposément infinie permettant d’éliminer le concept de “déchet”. Un exemple parmi beaucoup d’autres, celui de Nexans - que j’évoquais il y a quelques mois - qui a décidé de ne conserver pour clients que ceux qui lui confiaient en retour leurs cuivres usagers.
Le concept est tout à fait louable et vertueux, mais finalement, la “machine” continue à tourner à peu près comme avant. Certes, la circularité implique de nombreux changements - et pas des moindres - aussi bien du point de vue des concepteurs et des industriels que des consommateurs, mais ne semble pas remettre en cause fondamentalement les bases du système de production.
Or, en 2023, force est de constater que cette approche ne suffit pas/plus. Chez les designers en avance de phase, le concept est toujours présent, mais il est de plus en plus souvent supplanté par un autre "re" : régénérer, qui implique d’aller encore plus loin.
Il ne s'agit pas seulement de réutiliser des objets ou des matériaux, mais surtout de “réparer”. Pas au sens du “bricolage” ou du “do-it-yourself”, mais à une échelle systémique, dans le but de restaurer les écosystèmes et de prendre en considération les limites planétaires.
Le concept est particulièrement pertinent dans l'agriculture (on parle de plus en plus d'"agriculture régénérative", qui vise à réparer les sols et la biodiversité avec des pratiques plus vertueuses et durables, qui redonnent à la terre sa fertilité naturelle). Par ricochet, on retrouve le “régénératif” dans l'alimentation et dans la mode, mais aussi le bâtiment ou les matériaux en général. Des sujets particulièrement bien représentés chaque année à Eindhoven.
Ainsi, la designer Jess Redgrave imagine des matériaux “pour un futur régénératif”, dont des textiles fabriqués à partir de fibre de tournesol, en alternative au coton. Le collectif “New Order of Fashion” présentait une exposition sur le thème “Regeneration”, mettant à l’honneur la laine, le lin ou des teintures produites par des bactéries. LOADS, un projet distingué aux Dutch Design Awards, entend réunir agriculteurs, designers, architectes et fabricants pour qu’ils collaborent ensemble sur des produits et des matières plus respectueux de la nature.
Dans l’ameublement, les designers Brian Kersbergen et Pepijn Duijvestein proposent un concept d’étagères modulaires et “régénératives” (grâce à des matériaux recyclés et/ou produits selon des pratiques “régénératives”). Une fois n’est pas coutume à la DDW : c’est plus qu’un concept, puisqu’il est possible de la pré-commander.
Enfin, dans l’architecture, les architectes Remco Mulder, Marian de Vries, et Joost van Gorkom imaginent un projet de “Regenerative Building”, dans lequel l’eau joue un rôle central.
D’ailleurs, en parlant d’eau, aux Pays-Bas, cette notion de “régénération” prend une dimension particulière : la nature y est de longue date “maîtrisée”, notamment via le système des polders, qui a permis d’assécher les marais et de gagner du terrain sur la mer. Or, aujourd’hui, on se rend compte que ces marais représentaient des puits de carbone et des réserves de biodiversité forts appréciables…
Sur ce sujet, le travail des étudiants paysagistes de la Van Hall Larenstein University of Applied Sciences était intéressant : parmi les différents scénarios proposés pour les Pays-Bas en 2148, figurait le “Bioregional dream”, dans lequel le pays a appris à vivre avec la montée des eaux et a trouvé un nouvel équilibre, via la restauration des zones humides et la reforestation.
Évidemment, comme avec tout nouveau* “buzzword”, le risque est de voir ce terme de “régénératif” récupéré et employé à tort et à travers, voire de tomber dans un nouveau type de solutionnisme (le “bio-solutionnisme” ?).
Mais il a au moins le mérite de proposer une nouvelle vision du monde qui implique de repenser nos modes de production et de consommation en profondeur. Le but : adopter une approche dans laquelle l'homme et la nature ne sont plus en opposition, mais travaillent de concert pour le bien-être d’un écosystème dont nous faisons tous partie.
Cette vision “régénérative” pourrait ainsi redéfinir notre rapport au monde vivant, non plus comme une ressource inépuisable à exploiter, mais comme un partenaire à respecter et à préserver…
Benoit Zante
*"Régénératif” n’est pas tout à fait nouveau : par exemple, j’en parlais en 2021 à propos de Patagonia, qui a d’ailleurs racheté depuis une marque de crackers “régénératifs” et redouble d'efforts dans l’alimentation, secteur où son impact pourrait être plus fort que dans la mode.
Si vous voulez creuser ce sujet des entreprises et des modèles “régénératifs”, je vous recommande cet article de
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