Vous avez dit open source ?
Il est toujours étonnant de voir un mastodonte comme Meta/Facebook se faire le grand avocat des logiciels libres… Mais ces signes d’“ouverture” sont rarement dénués d’arrière-pensées.
Pourquoi ce sujet m’intéresse ? Parce que Meta a fait récemment plusieurs annonces : sa volonté de relier Threads - son copycat de Twitter X - au “fedivers” et, en France, l’ouverture d’un “AI Startup Program” à Station F, entièrement tourné vers l’Open Source - une actu que j’ai été amené à couvrir pour Maddyness.
TL;DR
Dans l’IA comme dans son cœur de métier historique (les réseaux sociaux), Meta semble prendre le parti de l’open source et de l’interopérabilité, avec plusieurs annonces dans ce sens l’an dernier…
Mais derrière ce mouvement d’ouverture, on peut surtout y lire une stratégie opportuniste : profiter du déclin de Twitter/X côté réseaux sociaux et tenter de reprendre l’avantage sur OpenAI/GPT4 dans l’IA. En outre, ouverture n’est pas synonyme d’absence de business model et de revenus à la clé - de grands succès liés à l’open source l’ont montré.
Surtout, l’histoire nous a appris que lorsqu’un acteur puissant se tourne vers l’open source, c’est rarement sans arrière-pensée… Microsoft n’a-t-il pas théorisé la stratégie des 3E, pour “Embrace, Extend and Extinguish” ?
C’est par un message sur Threads que Mark Zuckerberg, himself, a annoncé sa volonté d’arrimer son nouveau réseau social* au “Fedivers” - ce que la Quadrature du Net définit sur son site comme un “ensemble de médias sociaux composé d’une multitude de plateformes et de logiciels, où les uns communiquent avec les autres grâce à un protocole commun”.
Concrètement, cela reviendrait à rendre Threads interopérable avec d’autres réseaux sociaux décentralisés, comme Mastodon.
La promesse est également bien visible dans le processus d’”onboarding” des utilisateurs de Threads :
En France, c’est avec Hugging Face, un acteur incontournable de l’IA open-source (créé par des Français, mais aux Etats-Unis), que Meta s’est associé pour monter un programme à Station F, destiné à accompagner une poignée de startups hexagonales dans l’implémentation de modèles open-source.
La première promotion de ce programme explore des domaines variés, de la génération de BD à la cyber-sécurité en passant par la robotique, la “legaltech” et la mode.
Dans le domaine de l’IA, plus que du côté des réseaux sociaux, Meta a de bons arguments en matière d’open source. Notamment, Llama 2, son LLM concurrent de GPT4 présenté en juin 2023, est open-source.
Concrètement, tout le monde peut utiliser gratuitement Llama 2, y compris pour des usages commerciaux, à condition de ne pas l’utiliser pour entraîner un modèle concurrent ou de dépasser 700 millions d’utilisateurs actifs mensuels (dans ce cas, il faudra un accord de Meta, mais la barre est de toute façon assez haute). Outre différentes versions du modèle, Meta fournit l’ensemble des paramètres du modèle, une information assez stratégique pour les développeurs.
Rien ne dit que Meta avait initialement prévu d’être aussi ouvert… Mais la première version de Llama a subi un “leak”, rendant le modèle largement accessible. Si les événements vous dépassent, feignez d'en être les organisateurs…
Une chose est sûre : Meta y a rapidement vu un moyen de revenir dans la course aux LLM, alors qu’OpenAI avait pris tout le monde de cours. Certes, son modèle est peut-être moins performant, mais il est plus transparent et plus sobre. Son ouverture ouvre également la voie à des améliorations rapides, grâce aux apports de la communauté. Les entreprises peuvent aussi s’en saisir avec moins de craintes, puisqu’elles peuvent en garder le contrôle et l’installer sur leurs propres serveurs.
Et puis, gratuité et modèle open source ne signifient pas nécessairement absence de modèle économique et de revenus à la clé - l’écosystème Wordpress en est un exemple… Pour le lancement de Llama, Meta s’est d’ailleurs associé à Microsoft, qui mise donc sur tous les chevaux en même temps. La firme de Redmond y voit très clairement une opportunité de développer les usages, et donc les revenus de son activité “cloud”, Azure.
Cela nous ramène aux inquiétudes que j’évoquais en introduction.
Au premier abord, on peut difficilement comparer la décentralisation des réseaux sociaux - dont l’impact sera avant tout pour les utilisateurs - et la volonté d’ouvrir les modèles d’IA - qui vise les entreprises.
Mais dans les deux cas, on ne peut s’empêcher de penser à la stratégie historique de Microsoft envers l’open-source : “Embrace, Extend, Extinguish”. L’idée, que l’on pourrait assimiler à de l’entrisme, est de se saisir d’une technologie dont les standards sont en cours de développement, puis de l’améliorer avec ses propres outils propriétaires, avant de marginaliser les solutions concurrentes. Google est aussi accusé d’avoir suivi la même tactique avec son navigateur Chrome…
Or, comme le rappelle la Quadrature du Net, l’annonce de Meta à propos de l’interopérabilité de son réseau Threads intervient dans un contexte particulier :
Le Digital Markets Act (DMA), règlement européen qui, en tandem avec le Digital Services Act (DSA), vise à réguler les plateformes et l’économie numériques, a bien failli imposer aux réseaux sociaux une obligation d’interopérabilité. Si la France, sous l’impulsion de Cédric O, est venue, en toute fin de parcours législatif, retirer les obligations d’interopérabilités pour les réseaux sociaux du texte final, on voit bien que l’idée de la régulation par la décentralisation d’Internet fait son chemin parmi les décideur·euses public·ques et qu’une telle obligation finira probablement par arriver.
L’arrivée de Facebook sur le fédivers ressemble à la stratégie de prendre les devants, d’agir tant qu’il n’existe pas encore d’encadrement, afin de cannibaliser le fédivers en profitant de la circonstance de l’effondrement de Twitter.
Pour les réseaux sociaux comme dans l’IA, Meta ne ferait donc que suivre la voie tracée par ses concurrents ? L’avenir nous le dira.
Benoit Zante
*Au fait, j’ai quitté Twitter X.com (ou plus exactement désinstallé l’appli) dont j’étais pendant longtemps un grand utilisateur. J’ai profité du rappel de l’existence de Mastodon par Meta pour me créer un compte sur l’instance piaille.fr : @bzante@piaille.fr
Au plaisir de vous y croiser !