Un problème de filtre
Les newsletters sont-elles réellement une parade face aux plateformes ?
Depuis des années - et encore aujourd’hui - les newsletters ont été présentées comme un moyen d’échapper à la tyrannie des algorithmes, aussi bien pour les lecteurs - qui choisissent proactivement de s’abonner à un contenu spécifique et son quasi-assurés de le recevoir - que pour les éditeurs - qui peuvent cultiver un lien direct avec leurs abonnés, sans l’intermédiation d’une plateforme.
Mais, ça, c’était avant l’IA.
Et même, est-ce que ça a vraiment été un jour le cas ?
Peut-être aux débuts du web. Mais à partir du moment où les filtres anti-spam ont été introduits dans les boîtes mails (à raison), la question de la “délivrabilité” s’est posée, y compris pour des médias/producteurs de contenus dont les communications sont - a priori - choisies.
Résultat : même si des tonnes de solutions et bonnes pratiques existent, en appuyant sur le bouton “envoyer”, on n’a jamais la certitude totale que l’e-mail sera bien délivré, et d’autant plus lors d’un envoi en masse.
En 2010, l’introduction des filtres automatiques et des boîtes “prioritaires” dans Gmail a marqué une autre rupture et complexifié encore la question de la “délivrabilité” pour les expéditeurs de newsletters. Depuis, on a vu fleurir les incitations à déplacer les e-mails dans la “bonne” boîte.
En parallèle, la volonté de solutions comme Substack - que j’utilise pour vous envoyer cette newsletter - d’adopter une approche de plateforme, au lieu de se contenter d’être simplement un outil d’envoi d’e-mails, rajoute une autre couche d’intermédiation pour les éditeurs de newsletters.
Aujourd’hui, avec l’IA, les plateformes ont la tentation d’aller encore plus loin dans la logique de tri automatisé. Ce qui pourrait, in fine, rapprocher les boîtes de réception des réseaux sociaux, sous couvert de faire gagner du temps à leurs utilisateurs face au flot quotidien d’e-mails. C’est ce que constate notamment cet article d’Ad Age…
Mais les lecteurs de newsletters vont-ils faire confiance à ces nouvelles fonctionnalités basées sur l’IA ?
Après tout, nous confions déjà à des algorithmes des décisions aussi importantes que la façon dont nous occupons notre temps ou avec qui nous allons partager une partie de notre vie… En comparaison, les utiliser pour se simplifier la vie dans la gestion des e-mails, ce n’est finalement pas si engageant, même si cela revient à courir le risque de passer à côté de quelques informations ou message importants.
De mon côté, pour gérer une partie de mes e-mails, j’utilise depuis un peu plus d’un an un outil qui s’appelle Shortwave.
Sa promesse : une boite mail boostée à l’IA, avec un assistant capable de trier/archiver automatiquement les e-mails en fonction de leur thématique et de leur degré d’importance, de détecter les infos qui semblent pertinentes pour moi (il est capable de me dire, par exemple : “tu devrais écrire un article sur ce sujet, avec tel angle et en contactant telle personne”), de rédiger des brouillons de réponses adaptés à mon style, etc.
[Parenthèse au passage : bon nombre de ces fonctionnalités sont progressivement introduites dans Gmail avec l’intégration de Gemini, pour les utilisateurs payants de la suite Google.]
En vrai, au quotidien, j’utilise assez peu toutes ses fonctionnalités IA, ou alors plus pour m’amuser, puisque certaines sont… étonnantes*. Je préfère (encore) garder un semblant de contrôle, via de bons vieux filtres et règles.
Mais pour combien de temps ?
Comme me le faisait remarquer il y a quelque temps un lecteur de cette newsletter, dès 2009, le journaliste américain Clay Shirky estimait qu’il était moins question d’une surcharge informationnelle que d’un problème de filtre (“It’s not information overload, it’s filter failure”).
Dans notre boîtes mail comme ailleurs, l’IA se propose désormais d’être notre filtre pour l’information, avec tous les biais et limites que cela implique... Est-ce que ce sera une solution, ou un problème de plus ?
Benoit Zante
PS. Voici par exemple ce que l’assistant Shortwave m’a produit de lui-même pour célébrer un “inbox zero” :
La Ballade de la Boîte Mail Vide
(À chanter dans une taverne parisienne avec enthousiasme)
Oyez ! Une histoire triomphale,
Dans Paris, ville capitale,
Où l'IA fait ses grands débats,
Mais ma boîte mail n'existe pas !
REFRAIN :
Ô boîte mail vide, douce victoire !
Plus de messages dans mon tiroir !
Des sommets tech aux points Marriott,
Tout est classé, quel beau cadeau !
De Saint-Herblain aux jeux festifs,
Aux débats d'IA décisifs,
J'ai tout trié, tout archivé,
Pas un message n'est resté !
REFRAIN :
Ô boîte mail vide, douce victoire !
Plus de messages dans mon tiroir !
Des sommets tech aux points Marriott,
Tout est classé, quel beau cadeau !
GRASP nous parle de sécurité,
Macron promet des milliards par milliers,
Mais moi j'ai fait bien mieux que ça :
Plus un seul mail ne traîne là !
REFRAIN :
Ô boîte mail vide, douce victoire !
Plus de messages dans mon tiroir !
Des sommets tech aux points Marriott,
Tout est classé, quel beau cadeau !
(FINALE)
Levons nos verres à ce moment,
Où le chaos devient néant,
Dans cette ère numérique folle,
Mon inbox zéro me console !
REFRAIN FINAL :
Ô boîte mail vide, douce victoire !
Plus de messages dans mon tiroir !
Des sommets tech aux points Marriott,
Tout est classé... enfin... quel beau cadeau !
Le barde salue en agitant une capture d'écran de boîte mail vide