À Londres la semaine dernière, j'ai été surpris par une interaction - très révélatrice - avec un vendeur du flagship-store de Samsung à Saint Pancras… L’occasion de réfléchir à l’avenir du commerce physique.
TL;DR :
Les vendeurs de demain seront-ils des robots ? C’est la direction que semblent prendre certains acteurs technologiques, comme Samsung, qui développe des “Digital Humans” connectés à des IA conversationnelles.
Au même moment, des magasins ultra-connectés comme ceux d’Amazon Fresh misent sur des capteurs pour automatiser les encaissements et fluidifier les parcours des clients. Mais cela sans pour autant éliminer les vendeurs, bien au contraire !
C’est tout le paradoxe : Amazon a beau être l’un des (le ?) commerçants le plus avancé d’un point de vue technologique, il mise toujours sur l’humain pour faire la différence dans ses magasins physiques. On aurait presque envie d’en faire un exemple, si ses pratiques fiscales et sociales étaient irréprochables…
Chaque année en janvier, la capitale mondiale du “retail”, c'est New York, à l'occasion de la NRF, le salon de référence du secteur. Cette fois-ci, je l'ai couvert à distance pour Maddyness. Mais pas besoin de traverser l'Atlantique pour avoir un aperçu du futur du commerce et des magasins physiques ! Un trajet en Eurostar et Londres, avec ses flagships de grandes marques, ses concept-stores et ses pilotes en tout genre donne déjà un bon aperçu des tendances du secteur.
Par exemple, chez Samsung KX (pour “King Cross”), installé dans le centre flambant neuf de Coal Drops Yard, au nord de la gare de Saint Pancras, on peut découvrir un flasghip impressionnant, plus proche d'un Ikea ou d'un Leroy Merlin que d'un Apple Store, avec des cuisines et salons témoins, des cours et ateliers (de fabrication de terrarium, lors de mon passage), un service de customisation, un café, etc.
Tout ça, bien sûr, pour mettre en avant des écrans dernier cri ou des aspirateurs “powered by AI” (indispensables, évidemment). Dès l'entrée, on peut d’ailleurs prendre en main les tout derniers smartphones “AI” de la marque. Jusque-là, on pourrait y voir un sans-faute en matière d’expérience client.
Pourtant… Je venais à peine de passer la porte des lieux et je commençais à prendre en main ces fameux smartphones qu'un vendeur est venu vers moi pour me demander si j'ai besoin d'informations. Une interaction tout ce qu’il y a de plus classique. Je lui réponds que non, car je regarde juste par curiosité.
Et lui de rebondir avec une longue tirade : “je le sais bien, j'arrive à décrypter les gens. On voit bien que vous n'avez pas besoin d'aide. Mais là, juste derrière moi, j'ai mon manager qui veut qu'aucun client ne rentre ici sans qu'on aille lui proposer de l'aide dans les 30 secondes. On ne nous laisse pas utiliser notre intuition, donc je vais mécaniquement vers les gens. On nous demande d'être des robots.”
Anodine, cette référence aux robots m'a fait immédiatement penser à une présentation des équipes américaines de Samsung, à l'occasion de la NRF. Le directeur de la recherche du groupe et un commercial présentaient les “Digital Humans”, des avatars ultra-réalistes capables d'avoir des conversations fluides avec les clients.
Cela fait déjà plusieurs années que le groupe coréen en fait la démo sur les salons, mais l'arrivée des LLMs vient aujourd'hui donner un nouveau souffle à cette technologie, présentée, sans rire comme “une solution à la baisse de la natalité” (et à la pénurie de main-d’oeuvre qui en découle). L'idée est ni plus ni moins de remplacer les vendeurs spécialisés en magasin par des robots…
Cette vision du futur du commerce est pour le moins discutable… Pour moi, elle a même tout faux.
Le contraste est d'autant plus saisissant quand on compare la vision de Samsung avec celle d'un autre géant de la tech : Amazon…
Le groupe de Seattle a justement fait de la capitale britannique son avant-poste hors des Etats-Unis. Les camions de livraison du groupe étaient déjà omniprésents dans le centre de Londres. Désormais, il faut compter en plus sur une vingtaine de boutiques Amazon Fresh, ouvertes ces dernières années en centre-ville et en banlieue.
Celles-ci ont la particularité de ne pas avoir de caisse : des capteurs disséminés dans tout le magasin permettent d'automatiser l’encaissement et le paiement.
Soyons honnêtes : la première fois, l'expérience Amazon Fresh est plus déroutante que bluffante : on sort du magasin sans savoir combien on a payé et il faut attendre plusieurs dizaines de minutes pour recevoir le reçu par e-mail… Pourtant, une fois qu'on s'est fait à l'idée de sortir d'un magasin avec ses achats sans avoir sorti sa carte bancaire, cela devient presque une évidence.
Mais l'absence de caisse ne veut pas dire absence de personnel. Bien au contraire ! Il semble y avoir plus d'employés chez Amazon Fresh que dans des supérettes de taille équivalente aux alentours.
Pour la bonne marche du magasin, il faut en effet s'assurer en permanence que les capteurs fonctionnent que les produits sont aux bons emplacements et que les clients ne soient pas trop déroutés. La boutique sert également de point de retrait et de retour pour les livraisons e-commerce, ce qui implique de la manutention. Libéré de la contrainte de l'encaissement, le personnel est beaucoup plus disponible pour accompagner les clients et assurer la bonne tenue du magasin.
Cette obsession de l'expérience client se distingue aussi chez l'autre enseigne alimentaire d'Amazon à Londres : Whole Foods. Là, on est dans un positionnement premium. Pas question d'automatisation. Ni de caisses en libre-service qui sont pourtant la norme chez les concurrents. À la place, une rangée de caissier(e)s souriant(e)s, suffisamment nombreux pour éviter toute file d'attente. Lors de mon passage, il y avait même un employé à l'entrée dont le seul rôle semblait être de tenir la porte aux clients. Le luxe !
Comme quoi, même le plus technophile des retailers sait reconnaître la valeur ajoutée de l'humain*.
Benoit Zante
*Ce n'est pas pour autant qu'Amazon brille par son éthique et le souci du bien-être de ses employés. Des deux côtés de l’Atlantique, ses mauvaises pratiques sociales sont largement documentées. Et pour compléter l'anecdote, même si mon achat a été effectué sur le sol britannique, c'est un reçu édité par Amazon au Luxembourg qui m’a été remis…