Après plusieurs années à suivre l’évènement en visio et en replay, j’ai enfin pu me rendre en personne à l’USI, qui, chaque année, s’avère l’une des conférences les plus “mind-opening” qu’on puisse trouver à Paris, grâce à la qualité et à la diversité de ses intervenants. Un petit exploit pour ce qui était à l’origine "l’Université des SI”…
De cette édition 2025 consacrée à “La part incalculable du numérique”, je retiens particulièrement le propos du philosophe Pascal Chabot, l’auteur notamment de “Un sens à la vie” (tout un programme !).
Pendant 45 minutes, il s’est révélé un étonnant dispensateur de “punchlines” et de pistes de réflexion sur une foule de sujets.
J’en ai relevé quelques-unes en vrac :
”On ne se branche plus à notre inconscient, mais on se branche au surconscient numérique. Et ce surconscient numérique, c'est un dôme d'informations, de connexions, de réseaux, avec lequel il y a un véritable couplage. Nous devons interroger la mutation contemporaine qu’est ce nouveau couple que nous formons avec notre surconscient. C'est une métamorphose radicale”.
Il est plus explicite sur ce sujet grâce à un exemple très parlant : “il y a 15 ans, si vous alliez boire un café avec un ami, vous discutiez, puis l'entretien se clôturait et vous marchiez pour rentrer chez vous. Et lors de cette marche, vous dialoguiez avec votre inconscient… C'est-à-dire qu'une série de choses qui ont été dites vous revenaient en mémoire. C'est le couplage conscience/inconscient qu'on connaît.
Aujourd'hui, après ce même entretien, ce n’est plus du tout votre inconscient que vous allez solliciter. Vous allez tout de suite faire le geste, ce geste que vous faites 250 fois par jour : consulter un écran. Cela a introduit une modification colossale dans nos régimes de sens.”
L’une des conséquences de cette “métamorphose radicale”, c’est notamment que ”les grands troubles psychiques contemporains, burn-out, éco-anxiété, rivalité avec les IA - toute cette série de nouveaux problèmes psychiques - ne peuvent pas être compris avec les catégories de l'ancienne psychanalyse.” Donc pour lui, il faut désormais “être créatif” dans l’approche contemporaine de la santé mentale.
D’ailleurs, Pascal Chabot a plus particulièrement écrit sur le sujet du burn-out, dans lequel il voit “une pathologie de civilisation. On épuise les humains au moment où on épuise toutes les ressources. Les ressources humaines comme les ressources non humaines. Il y a là quelque chose qui est lié à une civilisation du trop.”
Le philosophe développe aussi le concept de “digitose”, ces dissonances et contradictions sources de mal-être. L’une d’elles concerne plus particulièrement notre rapport à l’avenir, qui n’est plus envisagé comme une simple reproduction du passé. Et pour cause : “Notre connaissance du futur, elle est telle qu'aucune génération précédemment ne l'a jamais eue. Auparavant, on se référait au futur comme à ce qui était inconnaissable, inconnu et peuplé de prédictions mythologiques, religieuses, apocalyptiques,… Aujourd’hui, il faut voir un rapport du GIEC comme une sorte de compétition entre des projections d'avenirs qui ont telle ou telle probabilité de se réaliser. Nous sommes connectés à des scénarios d'avenir comme aucune population ne l'a été précédemment.”
Une autre digitose qu’il a identifiée est liée à la “rivalité” avec la technologie. Sur ce sujet, “nous sommes en train de déléguer l'écriture aux machines. Or, on a toutes et tous appris que l'histoire humaine commençait avec l'écriture. Auparavant, c'était la préhistoire : c‘est ce qu’on nous a dit à l'école. À partir du moment où l'écriture devient de moins en moins humaine, on entre dans la post-Histoire”.
“La science-fiction a beaucoup parlé des humanoïdes. Ce sont, vous le savez, les machines qui ressemblent à des humains. Je trouve qu'on ne parle pas assez des humains qui ressemblent à des machines. Ce sont des machinoïdes. […] Ce sont de bons petits soldats du système. Il y en a beaucoup, il y en a partout. On ne va pas trop pencher dessus parce que c'est grâce à eux tout de même que le système fonctionne, ils sont une membrane protectrice qui rend notre vie confortable en Europe possible.” Le problème ? “Ils font ce que le système leur dit de faire. Et quand le système va vers des aberrations éthiques, ils suivent complètement.”
Une dernière “quote” pour la route ? “Je trouve qu'il faut faire du merdique une catégorie philosophique. Il y en a beaucoup dans cette planète.”
Benoit Zante
Merci Benoît, comme tjs, la bonne info partagée, au bon moment
Vraiment intéressant. Matière à cogiter, à dialoguer avec mon inconscient ?