Garder les pieds sur terre (et les mains sur le clavier)
La 7e édition de Médias en Seine (“Le festival international des médias de demain”) a permis d’avoir un bon aperçu des nombreux “cas d’usage” de l’IA chez les médias français et internationaux… Certains sont vraiment prometteurs - j’en ai traité quelques-uns pour Minted, ici et là - quand d’autres sont plus déconcertants, notamment en raison du manque de recul de leurs promoteurs (“super, on va pouvoir faire des reportages avec des vidéos générées par l’IA !”).
Mais il y a une expérimentation qui m’a marquée plus que les autres : celle présentée au siège des Echos/Le Parisien par Sonia Kronlund, la productrice et animatrice de l’émission documentaire “Les pieds sur terre”, sur France Culture.
L'expérience ? Créer un générateur automatique de "Pieds sur terre", capable de produire des émissions complètes sans intervention humaine. Le résultat devrait être diffusé prochainement, ce qui nous permettra de juger.
Pour y parvenir, l'équipe a "nourri" une IA avec les 6 000 épisodes existants de l'émission. L'algorithme a ainsi pu analyser et reproduire le style de l’émission, de façon apparemment assez convaincante, même s’il y a encore des imperfections - sur les voix, notamment.
De quoi ouvrir la porte à de nombreuses questions… Car finalement, Sonia Kronlund estime qu’“il n'y a pas grande différence entre ce qu'on fabrique tous les jours depuis 22 ans et ce qui est produit par l'IA. Donc, quelle est la différence ? La différence, c'est la relation de confiance que j'ai avec mes auditeurs.”
De fait, davantage que le résultat final et la capacité de produire des documentaires en trois clics, c’est la démarche, et les conclusions à en tirer, notamment autour de cet enjeu clé de la confiance, qui sont intéressantes.
“Qu'est-ce qui fait qu'une émission, un reportage, un documentaire est réel ? Qu'est-ce que c'est, le réel, en fait ? Qu'est-ce qui permet de faire la différence entre ce qui est produit par l'IA et ce qui est réel ?” se demande ainsi Sonia Kronlund.
Comme celle-ci le souligne également, finalement, ces "Pieds sur Terre" générés automatiquement sont “une caricature impeccable de nous-mêmes”, un “miroir” de tous les tics, automatismes et défauts des concepteurs de l’émission. D’où sa conclusion : “ça va nous encourager à faire autre chose que ce qu'on fait d'habitude.”
On ne peut que partager cet état d’esprit : parce qu’elle propose un contenu “moyen” (à entendre dans le sens “statistique”, pas forcément comme un jugement de valeur), l’IA peut en effet devenir un bon “moyen” (justement) de nous pousser à nous dépasser, à aller plus loin ou à faire différemment.
De plus en plus, avant d’écrire un article, je me tourne vers ChatGPT ou Claude pour voir comment l’IA aborderait ce même sujet… Et je sais qu’il faudra que je trouve un autre angle, une autre direction que celle choisie par l’IA, si je veux me démarquer.
De même avec le syndrome de la page blanche : quand je bloque dans la rédaction d’un roman, par exemple, je donne à l’IA quelques chapitres et lui demande d’imaginer la suite… Après plusieurs itérations ou en utilisant plusieurs modèles différents, je vois les schémas qui reviennent sans cesse, les clichés à éviter… Et je sais qu’il faut trouver autre chose.
Évidemment, dans la grande majorité des cas, l’IA servira à produire plus, plus vite, des contenus certes “moyens”, mais qui feront tout à fait l’affaire. Néanmoins, j’aime l’idée que ces outils nous permettront aussi d’aller plus loin…
À propos, il est maintenant temps de l’avouer : autant par facilité que pour tester, une des newsletters que j’ai envoyées au cours de ces six derniers mois a été rédigée à 60/80% par l’IA… Aucun lecteur ne m’a contacté pour le signaler, et a fortiori pour s’en plaindre. Certes, cette newsletter a suscité un peu moins d’engagement que d’autres, mais elle a aussi déclenché une prise de contact sur Linkedin qui s’est concrétisée récemment par un échange à bâtons rompus autour d’un café…
Alors, quelle conclusion en tirer ? De mon côté, que certes, l’IA, ça “marche” (ou, plus vulgairement, “ça fait le job”), mais qu’il est malgré tout bien plus satisfaisant (et de loin !) d’écrire soi-même ses newsletters, quitte à laisser plusieurs semaines “sans”, lorsque l’inspiration ou le temps manquent !
Benoit Zante
PS. Dans le même esprit, une autre démarche créative intéressante était présentée pendant la même table-ronde : celle de “Prompt”, un programme court conçu par l’illustrateur Jocelyn Collages et diffusé par Arte. Making of ici.