Comme un air de "déjà-vu" ?
C’était il y a plus de dix ans maintenant. Au milieu de l’hiver, Paris devenait pendant quelques jours la capitale de l’internet mondial - puisqu’on ne parlait pas encore de “tech” - en attirant quelques milliers de ‘geeks’ du monde entier, qui se trouvaient massés dans un grand hall d’exposition, à l’écart du centre-ville.
Chose rare à l’époque, dans les allées et sur scène, on entendait autant parler français qu’anglais, avec toute une palette d’accents.
Quelques startups prometteuses tenaient des petits stands où elles présentaient (au choix) des gadgets connectés ou des concepts de services SaaS et cloud. Certaines avaient même droit à leur heure de gloire sur scène. Mais c’était surtout les grands noms de l’internet qui y jouaient les premiers rôles. Ceux-ci étaient déjà principalement américains, et tout le monde leur déroulait alors le tapis rouge. On s’inquiétait à peine des questions de souveraineté, de sécurité des données ou de respect de la vie privée.
Les acteurs de la “vieille” économie, quant à eux, multipliaient les annonces d’investissements et de partenariats, de peur de passer à côté de la vague du “digital”. Et quelques personnalités politiques leur emboîtaient le pas, pour y humer l’air du temps - et tenter de capter quelques voix au passage.
C’était LeWeb. Ou du moins tel que je m’en souviens. Un salon aux allures de grand-messe, pendant lequel la Silicon Valley et son lot d’”évangélistes” venaient nous vanter les merveilles à venir d'un monde toujours plus connecté.
Après une dizaine d’éditions, l’événement n’a pas survécu à la séparation de ses organisateurs, Loic et Géraldine Le Meur. D’autres ont pris sa place, à commencer par le Web Summit à Dublin puis Lisbonne, ou Vivatech à Paris.
Mais dans leur course à la taille, ces événements n’ont jamais vraiment retrouvé ce qui faisait la singularité de LeWeb : un certain enthousiasme (pour ne pas dire innocence), ou à défaut une vraie effervescence, devant la perspective d’un changement majeur à venir, à côté duquel il ne faudrait pas prendre le risque de passer.
J’ai pourtant retrouvé un peu de ça à Station F la semaine dernière, dans les allées du “Business Day” organisé à l’occasion du Sommet pour l’Action sur l’Intelligence Artificielle…
Oui, de l’effervescence (et de l’attente), il y en avait - mais parler d’euphorie est sûrement un peu excessif. Face à l’affluence - et sûrement aussi à cause des mesures de sécurité liées au passage d’Emmanuel Macron dans les lieux - beaucoup d’invités sont restés à la porte de l’ancienne gare, où l’on annonçait une jauge de 3 500 participants.
Comme à l’époque de LeWeb, les grands groupes ont multiplié les annonces. Mistral en particulier, en a été le premier bénéficiaire : la licorne française a profité de ce coup de projecteur exceptionnel pour présenter un nouveau produit ainsi qu’une salve de partenariats, notamment avec Stellantis, BNP Paribas, France Travail, Free ou Orange, entre autres.
J’ai d’ailleurs évoqué l’un de ces partenariats pour Maddyness - celui avec Veolia - en échangeant avec Estelle Brachlianoff, la PDG du groupe.
Petite évolution notable, quand même : les “prophètes” que l’on vient écouter aujourd’hui ne sont plus Eric Schmidt, Gary Vaynerchuk, Travis Kalanick, Marissa Mayer, Jack Dorsey ou Dennis Crowley, mais ils se nomment Sam Altman, Arthur Mensch ou Yann LeCun…
Et puis, il y a quand même une différence de taille par rapport aux vagues du “Web 2.0” et de la “transformation digitale”. On raisonne désormais en milliards, là où les montants évoqués à l’époque étaient plutôt en dizaine de millions d’euros, au mieux, avec désormais une forte implication des Etats et de la puissance publique.
Aujourd’hui, on parle ainsi de 50 milliards d'euros par-ci pour un data center, 10 milliards d'euros par-là pour un super-calculateur, ou 10 milliards encore pour soutenir le développement et l’adoption de l’IA par les entreprises…
Tout cela, avec moins de naïveté que par le passé... Ou du moins, espérons-le.
Benoit Zante