ChangeNOW ouvre le débat sur la décroissance...
L’édition 2023 du salon ChangeNOW à Paris méritait le détour ! Et pas seulement parce que cet événement international permettait de décomplexer n’importe quel Français qui s’inquiéterait de son niveau d’anglais ou de la qualité de son accent…
TL;DR
ChangeNOW, c’était un millier de solutions pour le climat, mais aussi de nombreuses interventions, en Françaiset en Anglais. Au milieu des “corporate” (fonds d’investissement, grands groupes, institutionnels…) des voix plus radicales ont émergé, dont celle de Timothée Parrique.
Cet économiste est la nouvelle figure de proue du mouvement pour une décroissance : avec un ton très pédagogique et des exemples factuels, il montre les limites du capitalisme et nous invite à ralentir (d’où le titre de son livre : “Ralentir ou périr”).
À ces côtés, plusieurs entrepreneurs et dirigeants venaient montrer qu’à défaut d’embrasser frontalement la décroissance, un autre modèle d’entreprise, plus sobre et vertueux, pouvait se développer autour du concept de “suffisance”.
Sur le modèle de Vivatech, les deux premiers jours de ChangeNOW étaient dédiés aux professionnels, avec des interventions en Anglais (mais essentiellement assurés par des Français), tandis que le samedi ciblait le grand public, avec des contenus et des ateliers en Français.
C’est ainsi que pendant trois jours, un nombre impressionnant de responsables RSE de grands groupes, d’investisseurs, de politiques, d’activistes et d’entrepreneurs se succédaient sur les différentes scènes. De manière générale, leur message était en fait déjà contenu dans le titre de l’événement : il faut changer les choses, et vite.
La majorité des intervenants étaient plutôt du côté de l’innovation incrémentale ou du techno-solutionnisme, à l’image de la pléthore de solutions présentées dans les allées, qui allaient des matériaux innovants aux substituts à la viande, en passant par les initiatives de reforestation, les procédés de recyclage et autres technologies “vertes”.
Mais quelques voix proposaient des visions plus radicales. C’était le cas par exemple de l’entrepreneuse Melanie Rieback*, qui a créé une startup à but non lucratif dans la cybersécurité et milite pour une finance non-extractive avec Nonprofit Ventures et son incubateur “Post-Growth”, ou de l’économiste Timothée Parrique, l’auteur du livre “Ralentir ou périr” et nouvelle figure du mouvement de la décroissance.
Ce dernier intervenait à la fois le vendredi, en Anglais, puis le samedi, en Français. Son message est très clair et tient même en cinq mots, qu’il a martelé dans son introduction : “we must urgently dismantle capitalism”.
Un discours anticapitaliste (à voir ici) qui dénote dans cet événement organisé par Les Echos-Le Parisien et sponsorisé par Kering, Renault ou Orange… Mais il l’étaye toujours par son travail de recherche et des exemples concrets et de bon sens.
Au passage, j’avais entendu parler pour la première fois de lui non pas dans un média sur l’écologie, mais dans la newsletter
dans laquelle il revenait sur ses efforts de pédagogie et son travail pour passer d’une thèse de recherche de 800 pages à un livre grand public de 300.Le samedi, il remontait sur scène, en commençant par lister quelques-unes des réactions reçues sur les réseaux sociaux suite à son intervention : “un clown du changement climatique”, “go back to powerty”, “et si tu allais en Corée du Nord ?”, “jeune et naïf”, etc. Des critiques auxquelles il était préparé : dans sa thèse, il listait justement 36 objections faites au concept de décroissance.
Mais plus que d’imposer sa vision anticapitaliste, l’économiste entend surtout ouvrir la discussion. “C'est un concept controversé, qui permet d'avoir une discussion dynamique et de mettre en contact des gens qui n'avaient peut-être pas discuté avant” explique-t-il.
Il était d’ailleurs ensuite rejoint sur scène par Christopher Guérin, le CEO de Nexans - dont j’ai déjà parlé ici, après son intervention aux Napoleons à Val d’Isère - qui venait apporter un exemple concret d’une entreprise internationale ayant repensé son modèle pour aller vers davantage de sobriété et de circularité, tout en répondant aux enjeux de profitabilité et de réduction de l’empreinte carbone.
Le CEO reconnaissait au passage que sa position n’était tenable que parce que le pivot de l’entreprise s’accompagnait d’une meilleure profitabilité… Autrement dit, la décroissance de Nexans est volumique (moins de produits, moins de clients), mais elle s’accompagne d’une croissance en valeur (portée notamment par la pénurie de matières premières et le boom du marché de l’électrification sur lequel est positionnée l’entreprise).
Avec cet exemple de Nexans, et surtout celui de Melanie Rieback, qui, avec sa startup à but non-lucratif ne cherche pas à générer des profits destinés “à payer un jet privé ou une Lamborgini”, on est plus proche du concept de “suffisance” que de celui de la pure décroissance, souvent caricaturée par ses détracteurs. Autrement dit, il s’agit de rechercher “juste assez pour pouvoir vivre bien”. Mais c’est aussi le message de Timothée Parrique : montrer que la décroissance impose certes des renoncements, mais ne signifie pas nécessairement vivre moins bien.
Si l’économiste et le dirigeant n’étaient (évidemment) pas d’accord sur tout - Christopher Guérin, à la tête d’une entreprise cotée en Bourse, a notamment du mal à assumer le terme de décroissance - leur duo permettait de rendre les choses plus concrètes, loin des discours incantatoires que l’on pouvait écouter dans beaucoup d’autres interventions du salon.
D’ailleurs, pour l’événement, ce face-à-face original n’était pas la seule tentative de casser les codes et de sortir des pitchs et des interventions scriptées. Il y avait aussi au programme des ateliers, des œuvres d’art, des projections de film, un spectacle de danse… et du stand-up, pour se moquer aussi bien des activistes du climat que des grands groupes. C’était plus ou moins drôle - je comptais vous laisser juger par vous-même, mais la vidéo a disparu de Youtube !
Benoit Zante
PS. Si vous êtes à Nantes cette semaine pour le Web2Day, Timothée Parrique y intervient également, à deux reprises.
J’y serai aussi pour deux interventions le vendredi : il ne sera pas question de décroissance, mais de modèles pour les médias et de l’avenir des contenus.
*Les liens vers les vidéos :