À la guerre comme à la guerre (de l'attention)
Le festival SXSW, c'est l'incarnation même du FOMO ("Fear Of Missing Out") : à chaque instant, il y a des dizaines, voire centaines de possibilités : conférences, tables-rondes, démos, avant-premières, concerts, happenings et “activations” diverses… On ne sait jamais trop où donner de la tête et il faut apprendre à faire des choix - et surtout à accepter de faire les mauvais. De l’autre côté du miroir, pour chaque startup, chaque sponsor ou chaque média qui a investi dans l'événement, c'est un combat permanent pour essayer de capter l'attention du public…
Comme sur le web, en fait.
TL;DR
Cette année, ce sont les acteurs du divertissement - Amazon Prime en tête - qui faisaient d’Austin leur terrain de jeu, investissant massivement pour promouvoir leurs programmes.
Mais le gagnant de cette guerre de l’attention n’est pas un Américain : c’est TikTok, qui a éclipsé toutes les autres plateformes sociales dans les discussions à SXSW.
Les marques, les agences et les artistes qui s’y jettent tête baissée souffrent eux aussi le “FOMO” et les conséquences du modèle ultra-addictif de TikTok - encore pire que ses prédécesseurs - sont loin d’être suffisamment questionnées…
J'ai beau être habitué de SXSW (c'était d'ailleurs ma dixième fois sur place, le temps passe vite !), il me faut toujours un peu de temps pour accepter de passer à côté de certaines conférences - souvent prises d’assaut -, de certaines soirées - sur invitation seulement - ou de certaines expériences.
Oui, car après deux années de pause à cause du Covid et une édition relativement calme en 2022, le festival a retrouvé cette année une partie de son effervescence pré-covid.
La nature a horreur du vide. Si une partie de la tech a déserté (“downturn” économique et “layoffs” obligent) et que les acteurs du Web3 ont quasiment disparu du paysage, le monde du divertissement, lui, était présent en force. Les networks traditionnels (Paramount, Showtime, HBO,...), et surtout Amazon, avaient choisi l'événement pour promouvoir leurs séries.
Pragmatique, le géant de l’e-commerce avait décidé de mutualiser les moyens de ses différentes entités (Music, Ads, Prime) pour investir un hôtel entier. Ce qui permet aussi de loger les équipes, j'imagine. Il n'y a pas de petites économies.
Pendant tout un week-end, Amazon Prime mettait ainsi en avant une dizaine de ses programmes, à travers des expériences "immersives".
Une autre filiale d’Amazon, Audible, faisait elle bande à part, avec un lieu plus central pour faire découvrir ses podcasts et livres audios.
En face, les autres leaders de la SVOD (Netflix et Disney+) étaient plutôt discrets, même si Roku, peu connu en France, mais puissant aux Etats-Unis, était bien visible, tout comme Apple.
Mais de toute façon, dans cette guerre de l'attention, Amazon doit de toute façon faire face à un concurrent autrement plus redoutable : TikTok.
Dans le programme officiel, une demi-douzaine de conférences étaient consacrées spécifiquement à cette application (et aucune à Instagram, Facebook, Twitter ou Snapchat).
Avec ses vidéos courtes, mais surtout son algorithme redoutable, TikTok est rentrée dans le quotidien d'un milliard d'utilisateurs. Les marques, les médias et les artistes ne veulent pas passer à côté. Et ce, malgré les risques que représente cette plateforme…
Le discours actuel au sujet de TikTok tourne autour des enjeux de cybersécurité et de protection des données. Certes, c'est un point important à surveiller, mais la vraie question que pose cette application est plutôt l'impact de ses pratiques addictives sur le cerveau, et en particulier celui des plus jeunes.
Ne pas prendre en compte ces enjeux ouvre la porte à d'importants problèmes de santé publique à long terme, mais cet aspect est malheureusement absent de la plupart des discussions.
Pourtant, on ne peut pas dire qu’on n’était pas prévenus : les impacts de Facebook et Instagram sur la santé mentale et la société dans son ensemble commencent à être bien documentés.
Au-delà des parents, il en va aussi de la responsabilité des marques et des artistes, qui “enrichissent” l’application de leur présence et contribuent à son succès…
C’était d’ailleurs un axe de communication pris par Lush, très présent à SXSW, avec un discours anti-plateformes (la marque a quitté tous les réseaux sociaux en 2021). Mais cette prise de position est marginale (et n’a été prise que parce que Lush est la seule à le faire, ce qui lui permet de préempter ce sujet dans sa communication, ne soyons pas dupes).
On ne peut que s’inquiéter en voyant que cette guerre de l'attention incite les plateformes sociales à lancer des fonctionnalités de plus en plus problématiques, sans prendre le temps de réfléchir plus que cela sur leurs conséquences à long terme. Des filtres beauté indétectables ? Un ami virtuel sur Snapchat ? What's next ?
Benoit Zante
PS. Pour vous donner une idée de l’effervescence de South By South West, j'ai publié au fil des jours un thread sur Twitter.